Versatile Mag : Parlez-nous de votre parcours.
Cyril Mennegun : J’ai eu une scolarité très compliquée, redoublé plusieurs fois ma sixième et ma troisième avant de me diriger vers l’enseignement professionnel. J’ai passé un CAP Vente Action Marchande, puis travaillé chez Quick. Au moment de prendre une décision sur mon orientation, je me suis dit la chose suivante : «Tu es né à Belfort, ton avenir c’est la chaine de production Peugeot, alors que faire pour éviter cela ? Ne passe pas ton permis !» Je me suis ensuite demandé ce qui serait la chose la plus folle à faire, et j’en suis venu à la conclusion que ce serait de faire du cinéma. J’ai réalisé un premier court métrage avec une bourse Défi Jeunes qui n’a rien donné, mais qui a fait de moi une mini gloire locale. Un proviseur de lycée est venu me voir pour réaliser un documentaire sur l’enseignement professionnel qui a attiré l’attention sur moi de Libération et de France 5 qui a acheté le film. Puis j’ai enchaîné.
Est-ce que vous connaissez une Louise Wimmer ?
Je ne connais pas Louise Wimmer, mais il y en a, c’est certain. J’ai un passé de documentariste sur des sujets approchants, j’ai rencontré ce genre de personnages, ce sont des choses que je connais, je n’ai pas besoin de me documenter pour parler de ce sujet. J’ai fait de certaines de mes malchances personnelles une chance. J’ai une certaine sensibilité envers ces sujets-là et envers les personnes qu’on dit les plus fragiles de notre société. Ça n’est pas difficile de me projeter dans ce genre de sujet.
En quoi votre expérience de documentariste vous a-elle servi pour ce film ?
Je suis complètement autodidacte, je n’ai pas fait d’école de cinéma. Donc le documentaire est ma première expérience de la caméra et mon premier rapport à l’image et à la personne filmée.
J’ai une pratique du documentaire qui est proche de la fiction, j’ai toujours considéré les gens comme des acteurs. J’ai aussi une forme de cinéphilie qui fait que j’ai tenu à ce que mon premier long métrage de fiction ne ressemble pas à un documentaire. Parmi les films qui m’ont donné envie de faire du cinéma, il y a surtout Umberto D, mais aussi Une femme sous influence.
Vous parlez de Cassavetes. Louise se fait appeler Geena dans le film, avez-vous conscientisé cette référence ?
Je l’ai plutôt fantasmée. Il y avait quelque chose chez Geena Rowlands qui me fascinait et que je voulais retrouver chez Louise Wimmer, qui était d’imposer une actrice atypique dont l’essence et la puissance du jeu n’est pas seulement physique, mais dont on a l’impression qu’elle trimballe avec elle sa vie, ses expériences, son vécu. Je ne voulais pas d’un visage lisse d’actrice. Je ne voulais pas écrire le film tant que je ne rencontrais pas l’actrice. J’ai écrit le film pour elle. Corinne Masiero était surtout connue pour des apparitions télé, ciné, des rôles dans du théâtre de rue et de planche où elle jouait plutôt dans l’outrance, la comédie. Je lui ai dit que ce que je voulais d’elle, c’était tout l’inverse. J’ai donc commencé la direction d’acteur deux ans avant le début du tournage.
Pourquoi l’avoir choisie, elle ?
Parce que c’était absolument mon actrice rêvée : atypique, belle et laide, féminine et masculine, 1 mètre 82. C’était exactement elle. Comme spectateur, je me lasse beaucoup de voir toujours les mêmes acteurs tout le temps et mon point de départ a été de ne pas vouloir quelqu’un de célèbre car ça aurait été un premier filtre entre moi et mon premier film, et un filtre entre le spectateur et le film. Je voulais imposer un personnage de cinéma renouvelé, avec une grande puissance de jeu et je pense que personne d’autre n’aurait pu me donner un tel engagement.
Corinne Masiero est une révélation, vous aviez aussi révélé Tahar Rahim, vous êtes un vrai découvreur de talent !
Tahar c’est un ami depuis longtemps. On s’est suivis, on a échangé, on a discuté, rêvé ensemble et le hasard a voulu que l’année où il a obtenu le rôle dans Un Prophète, j’ai obtenu l’avance sur recette pour mon propre film. Corinne vient de tourner dans le prochain film de Jacques Audiard et Tahar tournera dans mon prochain film. C’est un échange de bons procédés !
Qu’est-ce qui caractérise Louise Wimmer ?
La dignité le courage, le jusqu’au boutisme.
N’y avait-il pas un risque dès le départ de tomber dans le pathos, le film à thèse ?
On fait un film avec ce qu’on est, il nous ressemble, je ne saurais pas faire un mélo. Je ne me suis pas donné comme charge d’éviter le pathos, car c’est quelque chose que je ne sais pas faire , je ne me suis donc même pas posé la question.
Votre film tend vers une forme d’épure.
Dès le début, je me suis dit : si tu veux réussir ton premier film, concentre-toi sur une chose, une histoire, un personnage, et ne perd pas ton temps dans l’effet de style. Je n’aime pas le cinéma où on voit la caméra tout le temps, où la technique est omniprésente. C’est pourtant une grande tentation pour un premier film de vouloir tout y mettre. J’ai voulu tourner au plus sec, monter au plus sec, avec un minimum de personnages, de dialogues, sans musique originale. Mon souci est de trouver le bon rapport entre d’où je viens, le documentaire, et où je veux aller, vers la fiction. Le film a un rapport très réel à son personnage et à son sujet, mais il ne fait pas non plus l’économie du cinéma. Il fallait placer le curseur entre les deux. Sous des dehors très simples, la mise en scène est très travaillée.
C’est donc un film de transition ?
Dans Louise Wimmer, il y a déjà des prémices de genre, des moments où elle est une vraie héroïne de cinéma, avec ses attributs classiques, cheveux, talons, imper, cigarette. Mon deuxième long métrage va pousser encore plus loin le curseur du réel à la fiction en allant vers le cinéma de genre. Je vais traiter d’un sujet complexe, la psychiatrie, en analysant le rapport entre un psychiatre et son patient, qui sera interprété par Alexandre Guansé, qui sera la découverte de ce film-là. C’est un projet que j’avais commencé à écrire pour Tahar. Il ira beaucoup plus loin dans le thriller tout en essayant de s’affranchir des références imposées que sont Lynch ou Cronenberg.
Vous jouez déjà avec les codes de ce genre-là dans Louise Wimmer.
Je crois qu’avec des micro choses, on peut créer un vrai suspense sans menacer le monde d’une guerre nucléaire. Il fallait installer une peur très quotidienne et anodine pour en faire des grosses choses stressantes. Ça m’amusait de manipuler cela pour instaurer du suspense à l’intérieur du film.
Est-ce que vous pensez que votre film appartient à un cinéma de crise ?
Certainement, j’ai d’ailleurs fait une session pour le Nouvel Observateur avec Cedric Kahn, Philppe Lioret et Christophe Ruggia sur ce sujet-là. Il y a une forme de courage que d’aller dans ce sens là, de cinéastes qui ont envie de parler de leur pays aujourd’hui. Un peu à la manière de De Sica dans l’après guerre. Aujourd’hui, on va avoir du cinéma de pur divertissement et un cinéma qui ouvre les fenêtres, aide à comprendre. En 2003/2005, j’avais déjà tourné un reportage sur les travailleurs pauvres, où on retrouve tout ce qu’il y a dans le film de Lioret. Donc je ne découvre pas la crise aujourd’hui, je crois que mon film est une continuité, cela vient de loin. Les gens dont on parle dans les médias aujourd’hui, cela fait quinze ans qu’ils vivent mal. On s’inquiète seulement maintenant parce que les gens qui consomment deviennent pauvres, c’est ça qui inquiète les riches.
Etes-vous surpris du succès de Louise Wimmer ?
Je ne sais pas si je dois m’inquiéter ou être heureux qu’on parle autant de mon film. Je suis très heureux car ça prouve qu’il faut faire plus confiance au public dans le sens noble du terme, sans parler de marketing, d’industrie du cinéma. Les gens n’ont pas forcément envie de se vider le cerveau avec de grosses comédies, c’est rassurant !
Propos recueillis à Toulouse le 12 janvier
Louise Wimmer, actuellement en salles
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