On peut considérer qu’un film se révèle sous deux aspects. Le premier se concentrerait sur ce qu’il nous dit, alors que le deuxième s’appesantirait sur la manière dont il le dit. Prenant appui sur cette logique, le chef-d’œuvre du septième art serait le film capable d’opérer une évidente symbiose entre ces aspects. La forme rencontrerait le fond ; la poésie d’une histoire trouverait son écho dans l’image. Or, s’il est un film dont la dichotomie nous apparaît la plus maladroite, c’est sans doute Le nom des gens, écrit et réalisé par Michel Leclerc, en 2010.
Platement filmé et dénué de toute audace esthétique, Le nom des gens fût bien un film audacieux. Emmenée par la personnalité de Bahia Benmahmoud, une figure centrale engagée et capable de tout, l’œuvre de Michel Leclerc portait, à sa sortie, un grand coup de canif dans l’idée – insupportablement conservatrice – que l’identité devrait inéluctablement supplanter l’être. Il s’agissait alors d’inviter le spectateur à ne plus évaluer les personnages à l’aune de leurs noms, mais à celle de leurs actes. Aussi fou que candide et révélateur d’autant d’évidences que de facilités sophistiques, Le nom des gens connut quelques amers détracteurs pour de nombreux défenseurs. Grandement salué par Positif, mais vilipendé par les Cahiers, il amenait à repenser l’idée politique et à la recentrer sur une quête de sens plutôt que sur une quête de raison, une démarche qui nous apparaissait personnellement essentielle.
Cinq ans après, Michel Leclerc nous revient avec La vie très privée de Monsieur Sim. Ici, la figure centrale (incarnée par Jean-Pierre Bacri) n’est plus capable de rien et, si le sujet reste celui des relations qu’entretiennent les Hommes, il s’affranchit désormais de toute considération politique pour mieux se transcender. François Sim (comme la carte) est un petit commercial sur le carreau. Fraîchement divorcé, il traverse une dépression et tente désespérément de tisser du lien avec quiconque voudra bien l’écouter. Allégorie de L’étrange voyage de Donald Crowhurst (navigateur qui périt lors de la première course en solitaire autour du monde), François Sim vivra un road-trip à travers la France, qui le conduira à redécouvrir les différentes personnes ayant marqué sa vie.
Œuvre houellebecquienne à l’optimisme retrouvé, La vie très privée de Monsieur Sim prend pour décor la poésie de zones neutres. De zones industrielles en aires de repos, le quinquagénaire sillonne la route et ne manque pas de faire l’inventaire des noms qu’il aime tant (Autogrill, Léon de Bruxelles, etc.) auprès d’inconnus de passage. Il s’agit alors de tisser du lien, d’apprendre à s’aimer, soi-même, à travers l’autre et avec lui. Et, si la solitude de Sim touche, c’est parce qu’il est inoffensif et fait montre à tout instant d’un espoir des plus dignes. En réponse, Michel Leclerc traite son personnage avec la plus grande bienveillance et, s’il en fait un manche, ce n’est que pour nous inviter à la même compassion. Incarnée avec justesse par la main tendue de Samuel (Mathieu Amalric), cette compassion occasionne des scènes qui donne à croire en l’Homme (celle citant Cole Porter), mais c’est peut-être lorsque Bacri est seul qu’elle se révèle dans toute sa dimension. Devenu ami avec son GPS, son personnage qui tourne inlassablement autour d’un rond-point pour forcer la communication invite alors à un rire des plus rares et des plus précieux au cinéma : celui provoqué par la tendresse.
Face à l’écueil d’une réalisation parfois quelconque, Michel Leclerc a l’habileté de se parer d’artifices qui fonctionnent mieux que dans Le nom des gens, puisqu’il se fondent ici avec le sujet de son histoire. En effet, puisque son personnage est quelconque, le fait qu’il soit filmé platement passe aisément pour le choix d’une résonance et, puisqu’il est lunaire, les scènes improbables qui font le sel scénaristique de l’auteur (les brosses à dents à table, la boîte de nuit avec une pré-ado) deviennent crédibles. Dernier de ces artifices palliant une image un peu faible – bien que sublimée dans les grands espaces naturels – la bande originale composée par Vincent Delerm constitue peut-être l’un des plus beaux disques du pianiste et parvient à trouver le ton juste quant à habiller l’optimiste mélancolie de Sim.
Si les ficelles restent donc un peu voyantes chez Michel Leclerc, elles s’estompent plus avant avec La vie très privée de Monsieur Sim et laissent espérer que sa prochaine œuvre s’impose comme l’une des plus marquantes de ce début siècle. A défaut, cet actuel opus nous offre le plus formidable message d’espoir qu’aura porté le cinéma français en 2015 et pare Jean-Pierre Bacri du plus grand rôle de sa carrière. Impeccable paumé houellebecquien, sa foi en l’homme (qui a foi en lui) mue sa détresse en courage et c’est peut-être lui, en dernière instance, qui tend à chacun cette main dont il a besoin.
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