À un ami, ce soir : « Les quinze premières minutes évoquent cette rencontre d’une femme sublime, dont nous aurions obtenu une heure en terrasse, terrible, lasse, tant tout trait de personnalité n’aurait correspondu qu’en décalé. Une première bonne scène arrive, un semblant de narration hésite à poindre, si bien que l’on veut y croire un peu, relancer cette non-histoire au nom d’une fugace émotion initiale… Mais la fin, rapide, sèche et inéluctable, arrive en quelques mois, forçant l’idée que l’on s’est dupé, que l’on n’était pour elle qu’un vague plan cul qu’elle ne respectait pas tellement, apprenant par la même qu’elle est folle amoureuse d’un autre, dont on méprise toutes les valeurs et qui méprise toutes les siennes. »
Bienvenue dans La La Land : le film qui croit pouvoir violer l‘héritage de Demy parce qu’il a dégainé deux feel good songs et trois robes colorées.
Comment ne pas être fou de rage après la vision de La La Land, film qui n’aurait jamais dû exister et que tant adorent déjà aux prétextes, tristes s’ils doivent être audacieux, d’un peu de couleurs et de quelques élans de légèreté jazzy, nichés au sein d’une époque binaire, alternant la pop et la grisaille pour toutes polarités ?
Qu’on se le dise, La La Land est peut-être la démarche la plus criante d’insincérité à laquelle le cinéma nous ait confronté depuis des années, au point que les deux derniers Star Wars en viennent à moins puer le marketing (tout en assumant autrement plus leur statut de produits, avant tout destinés à en écouler d’autres). Terrible camouflet infligé à la véritable audace, le film de Damien Chazelle amène à réinterroger tout Hollywood quant à sa capacité à financer, aujourd’hui encore, autre chose que des produits, osons : des œuvres !
Si le projet était déjà douteux en soi, tant on connait le navrant niveau des bobines se dédouanant de toute forme de créativité en vertu d’un quelconque hommage (coucou The Artist !), quasiment rien ne fonctionne dans La La Land, le rendant particulièrement pénible quant à y pénétrer. En effet, presque tout le film s’avère empêtré dans ses dispositifs pesants : un nombre incalculable de scènes au service d’une mise-en-scène plutôt que l’inverse – voire de la qualité d’une histoire – (ce qui serait trop demander), un usage de la steadicam ad nauseam pour seriner l’idée de mouvement et cette volonté de balancer des clichés pop, à chaque plan et à coup de pelleteuse, plutôt que des idées.
Narrativement, La La Land en est complètement arythmique. C’est le bordel ! Et dès qu’une scène fonctionne, c’est toujours pour une raison putassière (une performance de comédien, le plus souvent, notamment le premier casting du personnage de Stone, et son dernier, chanté). Le scénario est quant à lui truffé de parti-pris incapables de respecter leurs propres principes de cohérence. Pour en revenir à ces castings, par exemple, l’objet est d’inciter le spectateur à ressentir un sentiment d’injustice d’où devra naître son empathie pour notre douce Emma. Ainsi le premier auquel elle se livre est si brillant (pour aller chercher cette émotion) qu’il est impossible (du point de vue de la cohérence scénaristique) que sa performance n’attire en rien l’attention de son auditoire.
Et la bagnole de Gosling, il faut qu’on parle de la bagnole de Gosling ! Notre joli blondinet rencontre Stone alors qu’il la conduit. Après l’avoir charmée, il souhaite pourtant la lui cacher (alors qu’elle l’a déjà vue !) parce qu’il la considère comme misérable comparée à la sienne (sachant qu’il s’agit pourtant d’une vieille bagnole avec un cachet de malade et que la demoiselle roule dans une merde lambda). En revanche, dès que nos tourte(reaux)s commencent à flirter, tous les verrous sautent et Gosling oublie ses complexes prolétaires sans aucune explication (Alors que, bordel ! si tu veux jouer à La belle et le clochard, la tension et l’enjeu du secret décuplent précisément leur intérêt une fois le couple réuni !). Pareil quand ils se revoient cinq ans après leur histoire… Notre belle Emma est hyper étonnée (comme trop souvent dans le film) de voir ce que Monsieur est devenu… Alors qu’ils se sont quittés amoureux ! Ils ne se seraient jamais plus parlé ? N’auraient même jamais pris la peine de s’observer à distance ? À l’ère de Facebook et des réseaux sociaux ? Seriously ? Enfin, merde ! Ce nombre de parti-pris débiles auxquels on doit agréer pour accepter la plupart des scènes et mettre bout-à-bout un semblant de cohérence dans ce film… Ce que tout cela est insupportable et fastidieux !
Impératif socle de toute comédie musicale, les chansons de La La Land, entrainantes et plutôt réussies (comme exhortation à aimer le film), auront à cœur d’amener un public (définitivement considéré comme ignare) vers un genre musical ayant eu le malheur de connaître ses grandes heures au siècle dernier. À la fois louable et maladroitement condescendante, l’intention pédagogique de Chazelle se traduira par des intégrations chantées impactant le plus souvent la fluidité du film car embourbées dans l’impératif dysnéisant de devoir systématiquement porter, si ce n’est un message, au moins une idée. Là où Demy, cinquante ans plus tôt, avait déjà pleine conscience de l’aspect désuet de ses comédies musicales et sautait, effronté, avec audace et à pieds joints, dans toute la drôlerie qu’il pouvait y avoir à faire chanter leurs dialogues à ses personnages jusque dans leur plus plate mais nécessaire banalité (« Tu n’as pas peur qu’on fasse un peu putes ? »), Chazelle ne peut se résoudre à voir ses scènes devenir chansons. Ces dernières doivent avant tout exister pour elles-mêmes et imposer les textes de variété les plus interchangeables et les plus consensuels, ventes d’OST oblige. Devenus interludes, ces moments musicaux (plutôt que moments mis en musique) ne seront pas les seuls à témoigner d’un film coupé à la hache et ses sous-intrigues horriblement rognées n’hésiteront jamais à prendre le relais (à l’image de celle mettant en scène un Gosling des plus tendus face à un ex-ami en raison… d’une simple incompatibilité musicale dans laquelle notre éphèbe se compromettra pourtant en deux secondes).
Sans crainte de spoiler un film ayant avorté toute créativité potentielle jusqu’à sa conclusion, nous nous arrêterons sur cette fin volée aux Parapluies de Cherbourg (pour nous enfoncer à coup de marteau dans le crâne que nous venons d’assister à une histoire mélodramatique intense) puisque c’est elle qui délivre son abject message. Comme dans le chef-d’œuvre de Demy donc, nos amants se voient contraints de se quitter. Dans La La Land, cependant, ce n’est pas la guerre qui sépare ceux qui s’aiment, mais le désir de réussite personnelle (qu’on appellera « rêve » à longueur de scènes pour bien maquiller le vomi) d’une pétasse en quête de gloire (voir son air si satisfait, derrière toute la fausse modestie du monde, d’être désormais gentille cliente plutôt que méchante serveuse), faisant passer les femmes du XXIème siècle pour d’odieuses petites carriéristes sans vergogne, incapable d’abandon à autrui et de rêves en commun (ce qui devrait permettre au film de se targuer d’être… féministe ?). Morale abjecte et dégueulasse d’un produit voulant que l’entreprise capitaliste et individuelle devra toujours, inéluctablement, passer avant l’amour… Aussi et d’amour, ce film semble définitivement n’en ressentir que pour lui-même (avec cette idée agrippée en son for que l’on aime chez les autres que l’image qu’ils nous renvoient de nous-même). À ce sujet, l’une des seules répliques à peu près valable de La La Land estime qu’Hollywood « vénère tout mais ne respecte rien »… À ce projet cynique, nous répondrons alors en lui tendant le plus grand et le plus saillant miroir, espérant, s’il peine à s’y reconnaître, qu’il se tranche les veines avec.
Note: