En observant la filmographie de Danny Boyle, force est de constater qu’on aura du mal à y discerner une thématique commune qui traverserait chacune de ses œuvres pour en faire quelque chose de plus grand, dont la somme aboutirait à un projet global, une œuvre cohérente. Danny Boyle n’est pas un auteur tel Kubrick ou Hitchcock, chacun de ses films ne valent que par eux-mêmes et pour la façon dont ils permettent au réalisateur d’exercer ses talents de formaliste. Il est avant tout à l’affut du bon sujet, de l’idée sur laquelle il apposera sa vision, en se fondant avec une étonnante facilité dans les genres les plus hétéroclites, de la science fiction métaphysique (Sunshine) au film d’horreur (28 jours plus tard), du feel good movie (Slumdog Millionaire) à la comédie noire (Petits meurtres entre amis), toujours avec une jeunesse de ton assez insolente : montage ultra cut, split screens, caméra mobile, multiplicité des sources vidéos et musique euphorisante (M.I.A, Underworld…). Bref, un style clippesque, inspiré de l’esthétique MTV et de la publicité auquel on peut demeurer hermétique ou faire une allergie. Danny Boyle n’avait donc a priori pas d’après Slumdog Millionaire à gérer ni nul besoin de capitaliser sur le succès planétaire de sa comédie hindi. Prenant les projets comme ils viennent sans souci de cohérence sur le fonds, il fait ici le grand écart entre la comédie romantique exotique et le huit clos en plein air introspectif.
Adapté du roman « Plus fort qu’un roc » d’Aron Ralston, le film est basé sur l’histoire authentique de son auteur, randonneur coincé pendant cinq jours au fonds d’un canyon de l’Utah, le bras pris sous un lourd rocher et contraint de se couper le membre (le bras, hein !) pour survivre. On voit bien le double pari narratif auquel doit se coltiner Danny Boyle : parvenir à maintenir et à renouveler l’intérêt du spectateur avec un récit immobile et au personnage unique, et jouer sur les attentes liées à LA séquence redoutée et pourtant attendue, celle de la mutilation. Le réalisateur ne déroge cependant pas à ses principes et en 94 minutes très serrées, délivre une nouvelle fois un patchwork d’images très denses soutenues par un rythme nerveux prenant le contre-pied d’un sujet a priori intime et intériorisé. L’accident survient très tôt dans le récit et l’histoire respecte une chronologie basée classiquement sur les règles du survival : les stratégies mises en œuvre pour tenter de se sortir de ce piège naturel, les états mentaux du personnage qui passent de la sidération à la colère, du renoncement à l’instinct de survie, du pragmatisme à l’hallucination.
La performance de James Franco dans le rôle titre est assez étonnante, dépassant l’exploit physique, il réussit à apporter de la substance et de l’émotion dans un personnage a priori pas très aimable et peu caractérisé, amateur de sensations fortes solitaire dénué d’attaches. Son voyage mental est signifié par la mise en scène à la faveur d’inserts illustrant a contrario ses états psychologiques : à la solitude correspondent des images de stades surpeuplés et de rues passantes de grands centres urbains, à la soif des clips pour des marques de soda, à l’immobilisme le montage de sports de vitesse et de glisse. La voix intérieure du personnage se manifeste sous la forme d’une caméra vérité qui capte ses confessions en parodiant le sitcom et le reality show. L’esprit d’Aron Ralston vagabonde ainsi entre souvenirs familiaux et mea culpa amoureux, passé et réalité alternative, Danny Boyle réussissant là où échouait « Buried », film jumeau de circonstance trop concerné par son suspens (sortir d’un cercueil enterré six pieds sous terre) pour se soucier de la psychologie de son personnage.
La scène de l’amputation obéit alors à un processus logique de l’évolution psychologique du personnage, une forme de mue animale où on laisse une ancienne peau pour évoluer vers un stade supérieur de l’expérience. Ce processus permet de se briser les os pour trancher dans la chair, séquence à la limite du soutenable où Danny Boyle illustre par le son la sensation de souffrance physique, une fréquence audio suraiguë (un riff de guitare ?) perçant le cerveau du héros quand il doit se sectionner le nerf. Le malaise est manifeste, mais la scène est surtout très émouvante si l’on considère avant tout le sacrifice consenti et la force de caractère qui conduise à ce geste. Le calvaire vécu ne s’entoure d’aucune connotation religieuse mais n’évite cependant pas la leçon moralisatrice. Si dans le genre de la randonnée initiatrice il n’est pas interdit de préférer « Gerry » de Gus Van Sant, on ne peut pas nier que les deux cinéastes usent de gimmicks de mise en scène qui leur sont propres (le plan séquence pour l’un, le montage « cut » pour l’autre), qui produisent un impact équivalent sur le spectateur, dans deux styles pourtant diamétralement opposés.
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