Versatile Mag : Je vais commencer par le titre, Tonnerre. C’est à la fois un titre surprenant mais en même temps qui va si bien au film. Je me demandais, si au-delà du nom de la ville, Tonnerre ne représentait pas cette passion fulgurante qui anime les personnages ?
Guillaume Brac : Absolument. Le film propose une vision personnelle et fantasmée de ce lieu. Dès le début, je savais que je voulais raconter cette histoire de coup de foudre, de coup de folie, de coup de tonnerre, alors la cohérence est assez évidente entre le lieu, le titre et surtout cette histoire parsemée de ruptures très brutales. Avant même d’écrire le scénario, le titre était déjà choisi, ainsi que le lieu du tournage.
Tonnerre aussi pour l’explosion du récit, et c’est vrai que ce qui est déroutant c’est le contraste entre les séquences. On peut passer d’une scène de pleure à une scène de danse, repasser dans une atmosphère très sombre et ensuite replonger dans une belle légèreté. Est-ce que cette nuance était déjà inscrite au moment de l’écriture du scénario ?
J’accorde beaucoup de temps à la préparation de l’écriture, que je fais avec ma co-scénariste Hélène Ruault, ensuite j’écris seul. C’est vrai que je suis obsédé par les contrastes et les ruptures, alors forcément, quand on imagine une scène ou seulement un détail qui vient rompre la continuité du récit, ça m’intéresse. Cette nuance était donc présente dès l’écriture. Ensuite, je pense que c’est également le résultat de la complicité et la richesse de l’univers des acteurs. Bernard Menez peut être hilarant et bouleversant. Vincent Macaigne a ce côté drôle, effrayant ou même irritant. Solène Rigot est séduisante, vivante, drôle et possède également une très belle fragilité.
J’introduis des moments de comédie pendant le tournage. Ce que j’aime chez les acteurs non professionnels, c’est cette forme de maladresse qui n’est absolument pas gênante. Pialat n’avait pas peur de se moquer avec beaucoup de tendresse de ses personnages non acteurs. Ce n’est pas un manque de respect, c’est réussir à capter cette drôlerie du réel.
Vient ensuite le montage, qui est une prolongation de la réalisation. Je travail de façon très précise avec mon monteur sur le dosage des scènes, sur le choix de ce que l’on garde ou ce qu’on enlève. Par exemple dans Un monde sans femmes, le début peut être long et paraître presque gratuit mais au fond, sans vraiment en avoir l’air, installe vraiment quelque chose.
On à tendance à enfermer les cinéastes actuels dans des genres bien définis. Vous, vous êtes une sorte d’électron libre auquel il est très difficile de mettre une étiquette. Avec Un monde sans femmes, on ressentait cette veine très naturaliste qu’avait Rozier ou Rohmer mais avec Tonnerre vous offrez un contrepoint qui s’apparente davantage au thriller américain, comme par exemple Two Lovers de James Gray. Est-ce que dans vos projets futurs, vous allez vous défaire du cinéma réaliste pour aller vers un cinéma plus fictionnel ou bien est-ce que vous allez continuer à mêler différents genres ?
Très bonne question car moi même je me la pose en ce moment. D’un côté, je serais tenté de dire que je vais continuer à m’en éloigner, mais à la fois non car ce qui m’intéresse c’est justement cette fusion. J’ai revu récemment deux films, L’Arbre, le maire et la médiathèque de Rohmer et Take Shelter de Jeff Nichols et je crois que c’est possible d’avoir des vrais appels d’air semi documentaires qui flirtent avec la comédie ou avec une histoire plus tenue en terme de récit. Dans l’immédiat, je suis écartelé et sans doute un brin schizophrène entre deux désirs de cinéma. Je voudrais continuer à faire des films libres, vivants, qui respirent tout en conservant une vraie puissance obsessionnelle et romanesque.
Dans Un monde sans femmes, on suit les aléas amoureux de la mère, puis de la fille, mais ce qui est intéressant également c’est cette relation mère-fille et comment elle va déteindre sur leurs vies, leurs choix. Et pour Tonnerre, on a aussi en arrière plan cette affinité père-fils où finalement le fils va « répéter » ce qu’a fait le père, en entretenant une histoire avec une fille beaucoup plus jeune. Est-ce que ce lien enfant-parent est un sujet qui compte pour vous est-ce conscient de l’aborder de façon récurrente ?
Volontaire, oui et non. D’un point de vue psychanalytique, je ne sais pas ce que ça veut dire, si cela signifie qu’il y a un poids de la famille, un poids du milieu dans lequel on grandit qui pèse sur les choix. Mes personnages « adultes » sont à la fois proches et loin de ce que sont mes parents et de ce que j’ai pu vivre avec eux. Mes parents sont un couple très uni et fusionnel, alors peut-être que je casse cette image dans mes films en mettant en scène des adultes seuls et célibataires. Au fond, cela permet une relation individuelle entre l’enfant et le parent qui n’est certainement pas possible quand les parents sont encore ensembles. J’ai sans doute voulu explorer de façon fantasmée la fragilité d’un père et d’une mère. Ce qui est vrai aussi, c’est que montrer à chaque fois deux générations différentes confrontées à l’amour et à la solitude élargit la portée du film, relativise la spécificité de quelque chose qu’on vit, que d’autres ont vécu et que d’autres vivront. Dans Tonnerre, Maxime a le sentiment de vivre un amour unique mais cependant son père à vécu une situation similaire, les trois quarts des spectateurs aussi. Mêler ces deux générations c’est connecter l’intime à l’universel.
C’est un film qui se déroule en hiver, les couleurs sont donc naturellement très froides. Pourtant, dans beaucoup de plans, on retrouve des touches de couleurs très vives, notamment le rouge, qui est très présent. Est-ce intentionnel ou non ?
La question des couleurs est importante. Pour moi, les intérieurs ont une forme de chaleur, l’appartement du père serait un nid douillet, chaud, doré qui contraste avec cet hiver glacé aux couleurs froides et nocturnes. Le choix de la parka de Maxime à été le plus difficile. Vincent en a essayé beaucoup et finalement il a trouvé ce manteau couleur orangée qui m’a tout de suite fait penser à de la chair à vif, une peau mise à nue. Ça relève d’une touche de couleur quelque chose qui aurait été triste et gris. Ensuite, j’étais plutôt réticent à l’idée de certains effets de lumières, la fontaine teintée de vert par exemple, mais mon chef opérateur m’a convaincu et finalement je trouve que c’est ce qui fait décoller le film d’un réalisme un peu terne. Cela crée des images expressives. En parlant du rouge par exemple, il y a un plan que j’aime bien, c’est quand Maxime va chercher le revolver. Il passe par un jardin et on voit en arrière plan une bétonneuse rouge. Les couleurs apportent quelque chose de rassurant, c’est un retour à la vie.
En ce qui concerne les acteurs, vous leur offrez beaucoup d’espace avec des plans moyens ou larges. Quels est le degré de liberté que vous leur laissez, est-ce qu’il y a par exemple des scènes improvisées ?
Je ne suis absolument pas le genre de réalisateur qui va caresser le visage des acteurs. J’aime les grandes valeurs de cadre et les plans très longs, ce qui permet aux acteurs de s’installer dans le présent de la scène, de respirer.
Je suis parfois exigeant –voire tyrannique- avec mes comédiens et à la fois, j’ai le sentiment d’être capable de leur laisser beaucoup de liberté. C’est assez intuitif, et justement cette alternance de rigueur et de grande liberté va produire des choses très intéressantes. Les acteurs se savent regardés mais quand je les laisse libres, il y a quelque chose de fort qui peut s’exprimer. Ensuite, il y a des moments d’improvisations, pas forcément ceux auxquels vous pensez d’ailleurs, la scène de la danse est une chorégraphie inventée par Vincent. Et sur le tournage, on a eu cette excitation de découvrir en même temps que l’acteur ce qui se passe dans la scène, ça a quelque chose de vivant. Dans une autre scène, celle où Vincent casse l’armoire et pleure sur le lit, je n’avais jamais entendu Vincent pleurer, on a rarement accès à une telle intimité et cette violence qu’il a mis dans ses sanglots nous a tous rendus mal à l’aise. Car c’est une situation qui gène dans la vraie vie et ça a quelque chose d’obscène et d’indécent d’assister à ça. Ce que je demande aux comédiens, c’est de se libérer de leur image, d’avoir cette générosité de ne pas avoir peur de se montrer sous un jour moins flatteur. Constance Rousseau avait ce don et Solène l’a trouvé sur le tournage de Tonnerre. Il y a un moment où elles ont dépassé le contrôle.
Dans votre cinéma, il y a une très belle pudeur, je pense par exemple à la séquence dans le jardin où Vincent reçoit le texto, la caméra n’emprisonne pas le visage du personnage lorsque celui ci doit faire face à un drame, elle reste à distance. Es-ce un choix éthique ?
C’est intéressant, il faudrait qu’il y ait une analyse sur les cinéastes en fonction des cadres qu’ils utilisent, cela en dirait beaucoup sur leurs personnalités et leurs rapports au monde. Chez moi, il y a une sorte de pudeur, de discrétion et même parfois d’effacement. Ce qui me captive c’est de capter des fragments de réel, et de faire oublier la caméra. D’ailleurs Ken Loach dans Un cinéaste de notre temps parlait justement de cette distance de la caméra, il ne voulait pas s’approcher trop près, ne pas être violent ou intrusif.
Comment s’est fait cette rencontre avec Vincent Macaigne, ce coup de Tonnerre entre vous deux ?
On s’est connus pour autre chose que pour faire un film. On s’est aimés dans la vie avant de travailler ensemble. J’ai pris le temps de vraiment le regarder et le connaître avant de le filmer. Ainsi, c’est vrai que mon écriture est complètement habitée et incarnée par sa présence, ce n’est pas une écriture abstraite. Je n’écris presque jamais abstraitement. C’est extrêmement précieux et une chance de pouvoir installer une sorte de compagnonnage dans le cinéma, les acteurs ont quelque chose d’organiques, ils portent le film avec moi, car c’est lourd de porter un film.
Avez-vous un nouveau projet en cours d’écriture ?
C’est assez flou pour le moment, mais oui. J’ai un nouveau projet en début d’écriture avec ma co-scénariste qui sera un film plus politique, plus violent. Si je devais dire deux mots ça serait « comédie » et « tragique ». Ce sera plus estival que Tonnerre, j’ai envie de lumière !
Dernière question… Avez vous vraiment tourné lors d’un match Auxerre Lens ?
Bien sûr ! Les tribunes sont assez vides à cause du temps mais c’est un vrai match. Je voulais vraiment saisir l’atmosphère de ce petit stade d’Auxerre, certains regards-caméra participent à ça d’ailleurs. Je n’aurai jamais imaginé le faire autrement, je me sens incapable de diriger des figurants. Ce qui m’excite le plus, c’est de capturer le réel et de l’introduire dans la fiction. La séquence où Bernard Menez lit de la poésie à son chien à table est à mon sens la scène la plus forte du film. C’est un type de situation que j’ai déjà vécu chez lui et je voulais la retranscrire en la dénaturant la moins possible.
Propos recueillis le 31 janvier 2014 par Solenne Boeno
Remerciements : Anaïs Monnet (agence Le K)
Tonnerre, actuellement en salles
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