Robert Adams est né dans le New Jersey en 1937, il commence la photographie au milieu des années 1960 et deviendra l’un des plus importants chroniqueurs de l’ouest américain dans toute sa splendeur et ses ambiguïtés.
L’exposition est vaste, elle débute avec des images des petites villes, de routes, de petits lieux ou d’atmosphères, comme ces lumières de nuit, magnifiques photographies de banalités rendues magiques par des lumières artificielles. Petit-à-petit, l’œil glisse vers la nature, les arbres remplacent les poteaux électriques, la mer et les champs remplacent les toits des maisons.
Tentons d’ouvrir la question sur les enjeux que ces deux réalités prises dans le même regard posent quand elles sont mise côte-à-côte, entre intégration des espaces, fuites et oppositions, tout cela dans un grand calme mélancolique.
Indiscutablement les espaces urbains américains sont ceux qui se passent le mieux de la présence de l’homme pour exister pleinement et pour vivre sur le papier photographique. De Walker Evans à Stephen Shore, en passant par William Eggleston, l’Amérique n’a cessé d’être le territoire des images sans envers du décor, du faux donné sans détour. L’Amérique est une prodigieuse matrice d’images construites, de simulacres visuels, où l’imitation du réel devient le réel lui même.
On s’en rend très vite compte, Robert Adams s’écarte légèrement de cet aspect postiche et obscène (mais toujours poétique) pour en tirer quelque chose de plus apaisé, peut être une manière de réconcilier les paysages purs, sans l’humain, avec les espaces dans lesquels l’homme a rajouté des données visuelles telles que des fils électriques ou des maisons.
Les photos sont très cadrées, l’horizon est plat, il tranche souvent l’image, les lignes des intérieurs constituent le cadre… Robert Adams varie peu ses cadrages et objets, mais il serait idiot de le lui reprocher. Il nous ouvre un espace qui est « l’endroit où nous vivons », il nous montre les choses qui n’appellent pas le regard et les confronte à celles de la nature qui, au contraire, semblent faites pour perdre l’œil.
Va alors se développer un léger sentiment de déséquilibre, les images des petites villes, les images d’intérieurs, de voitures, etc., se chargeaient d’une vie qui n’était pas celle des hommes, les corps et visages étaient là pour équilibrer le décor, tout cela aboutissait à un déplacement du regard dans l’espace le plus banal qui soit. Dans les photos de paysages, l’œil est flatté, mais moins surpris. Les feuilles, les troncs, composent souvent des images magnifiques, tendant parfois vers l’abstraction, mais hormis quelques images (dont la photo sublime d’une souche face à la mer), les photos n’opèrent pas une transformation du regard, une redécouverte de l’espace.
Tout cela amène alors à parler de l’appel qu’il y a dans les images de Robert Adams, l’appel à s’abandonner dans l’image, dans cet espace où l’on « sent le pouvoir d’envoûtement de la discrétion, la violence latente de ce qui ne demande qu’à passer inaperçu » (Jean Philippe Domecq, Traité de banalistique, ed. mille et une nuits, 2004). Si cet appel invite l’œil du spectateur à donner une présence à ce qui ne semble pas en avoir, l’échange s’est d’abord fait entre le lieu et l’objectif du photographe.
À regarder les photographies de cette exposition, on se rend compte que la nature se passe de l’objectif, tandis que la civilisation semble en avoir besoin. La nature ignore le photographe et se contente de l’œil, le voulant baladeur plutôt que fixe. Pourtant Robert Adams fait de la photo depuis quarante ans, et il ne cesse de s’intéresser à ces paysages de l’ouest, il continue à les photographier, comme pour capturer cette essence de la nature à échapper à la fixité. Les photos de mers ou de sous bois ne possèdent pas ces lignes tracées par l’homme que sont les routes et les chemins qui ouvrent l’image, qui la charge d’une perspective autant réelle que métaphysique.
À travers cette œuvre photographique qui vient cadrer tous les réels, qui les posent devant nous, Robert Adams créé un regard qui est à la fois celui de l’homme et du photographe, mais également celui du temps des choses dans lesquelles le temps de l’homme se construit.
« No place is boring, if you’ve had a good night’s sleep and have a pocket full of unexposed film » – Robert Adams
Exposition Robert Adams, « L’endroit où nous vivons », du 11 février au 18 mai 2014 au Jeu de Paume
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