Du 15 janvier au 16 mars, la Maison Européenne de la Photographie propose une exposition de photos de David Lynch. Inland Empire, son dernier film était sorti en 2007. Depuis, la popularité de l’artiste plasticien, musicien, photographe n’a pas cessé de se développer.
Lynch est apparu à la fondation Cartier en 2007 avec la peinture, il revient aujourd’hui avec une série de photographies intitulée Small Stories.
Premier bémol, David Lynch annonce lui-même dans un texte introductif que « Les images fixes nous racontent de petites histoires ». Il dit aussi que ces histoires sont intéressantes, mais l’inquiétude est déjà là : un maître des images mouvantes semble chercher une excuse pour justifier la fixité des images qu’il nous présente. Ce texte place les photos qui vont suivre sous le joug de l’appel à la fiction au sein même de l’image. Des photos qui nous racontent des histoires, donc.
L’exposition propose plusieurs séries, toutes très répétitives : une série d’intérieurs qu’on dira étranges, facilement surréalistes, une série de têtes dans lesquelles toutes sortes de choses apparaissent, un orage électrique ou des bougies… On croisera également une série sur des fenêtres, et des paysages divers.
Toutes les images se situent entre le collage, l’assemblage d’éléments numériques grossièrement intégrés les uns aux autres, la capture d’écran et la photographie dite surréaliste. On constate rapidement une chose qui ne s’arrangera pas : ça ne prend pas.
Le désir de faire de la fiction demanderait que celle-ci soit injectée dans quelque chose, que l’étrangeté fasse dysfonctionner une réalité, ce qu’a merveilleusement fait Lynch dans presque tous ses films. Mais ici, l’étrange est tellement calculé, tellement froid, que rien ne se tisse entre les éléments formant les images.
Et entre les images, difficile de voir se développer une pensée, un fil qui amènerait à la création d’une impression globale. Chaque photo reste seule dans sa tentative de nous raconter quelque chose.
Les collages ressemblent à des agrandissements de captures d’écrans et cette idée – en soi pas mauvaise – ne produit rien. Elle fait s’étouffer l’espace que les œuvres tentent de créer et freine la moindre petite histoire que l’image fixe a le pouvoir de raconter, comme il le dit lui-même dans sa note d’intention.
Il faudrait aussi rappeler à David Lynch que la photographie est capable de bien des histoires. Qu’elles soient fictions abstraites, qu’elles soient temps, ou histoires de formes, la photographie à travers ses grands noms n’a cessé de raconter de grandes histoires.
On pense à Man-Ray évidemment, mais aussi à Weston et ses légumes, merveille de formes, à Lee Friedlander et ses téléviseurs grimaçants et tous ceux qui, avec peu d’éléments engendrent une inquiétante étrangeté, une fiction insaisissable avec un talent que David Lynch n’aura pas ici.
Cette manière nonchalante de coller des éléments plus ou moins issus de son univers, de mettre sa patte « Lynchienne » par le biais d’insectes ou de visages déformés qui rappellent Elephant Man ou Eraserhead, rend sans objet/valeur la laideur visuelle des images. Cette attitude nous en dit beaucoup sur ce qu’est David Lynch aujourd’hui : une marque plus qu’autre chose.
On ne le voit plus sur les écrans de cinéma, on rêve ses films par l’intermédiaire de petits objets à côté du cinéma, mais toujours regardant vers lui. Un club ultra select reproduisant à l’identique une pièce que l’on voit dans Mulholland Drive, des vitrines de grands magasins, une musique peu intéressante qu’on apprécie surtout avec les éventuelles images qui nous viennent en l’écoutant… Si Inland Empire son dernier film, avait déjà un côté brouillage total, flou expérimental, il avait au moins le mérite d’utiliser l’image numérique comme vecteur d’un trouble réel et comme associée aux dysfonctionnements physiques du personnage.
Cette dernière remarque ramène d’ailleurs à une image de l’exposition : une image intéressante tout de même dans le deuxième groupe de salles, une photo qui s’intitule Three Things Converge, où l’on voit une maison de campagne avec un jardin, prise dans un brouillard numérique, une brume de pixels grossis, cet élément parfaitement identifiable (la maison), provoque une vision sortant d’un film de genre où le pixel brouillant l’image aurait remplacé la fumée monstrueuse. Cela produit un effet séduisant que l’on voyait pointer dans Inland Empire. L’image permet une petite histoire, une réflexion intellectuelle qui part d’une idée formelle, mais qu’on ne peut malheureusement pas étendre au reste des images de cette exposition.
« Small Stories », exposition David Lynch à la MEP – Jusqu’au 16 mars 2014
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