Hong Sang Soo livre avec Un jour avec, un jour sans, un manifeste de mise en scène et se pose comme l’un des plus grands cinéastes de la rencontre amoureuse.
Un Léopard d’or et un prix d’interprétation masculine au dernier Festival de Locarno auréolent le sublime geste de cinéma du réalisateur sud-coréen.
Son dernier film Un jour avec, un jour sans est une merveille.
Comme souvent le cinéaste va filmer la rencontre entre un homme et une femme.
Ici, Ham Cheonsoo est un réalisateur célèbre invité à présenter son œuvre dans la ville de Suwon. Il arrive un jour trop tôt sur les lieux et va profiter de cette espace de liberté impromptu pour visiter un palais de la ville. Il va surtout rencontrer Yoon Heejeong, une artiste peintre locale.
Le film se découpe en deux segments identiques par ses lieux, ses personnages et sa trame narrative. Ils sont parfaitement superposables, allant même jusqu’à durer le même temps – une heure chacun – et sont introduits par le même carton générique.
Dans ces deux segments, le cinéaste montre la rencontre de deux corps qui se rapprochent par gradation, pour tisser un lien amoureux.
Ce qui intéresse le cinéaste est bien ce rapport chimique entre deux êtres, car dans un cas comme dans l’autre, il faut vite se quitter avant que la rencontre ne devienne autre chose. Ce temps donné au personnage Ham Cheonsoo, cette journée de flânerie, devient alors un fantasme, une utopie, un cadeau du hasard, un accident de la vie.
Ce qui distingue les deux segments est une variation subtile de la mise en scène qui créé des distorsions dans le regard posé sur cette rencontre.
Le sujet du film se transforme alors peu à peu. De la rencontre amoureuse entre deux êtres, Hong Sang Soo construit étape par étape un éloge du regard, le regard porté par le cinéma, cette magie de la mise en scène qui, sur deux histoires identiques, donne à entrevoir différemment.
Hong Sang Soo est le cinéaste par excellence du plan séquence. Il considère que le champ-contrechamp brise la petite musique d’une rencontre. Il laisse ses plans se diluer dans le temps que seul un verre d’alcool ou un incident dérisoire peut briser.
La puissance du dernier film d’Hong Sang Soo est d’introduire une variation à ce principe dans la même scène pivot de chacun des segments.
Alors que Ham Cheonsoo accompagne la jeune peintre dans son atelier pour qu’elle lui présente ses tableaux, Hong Sang Soo décide dans le premier segment de laisser le réalisateur hors champ et de filmer l’artiste de dos et dans le second segment, d’embrasser les personnages dans le même plan.
Cette variation de mise en scène s’apparente à une révolution dans l’intimité amoureuse qui se noue entre les personnages.
En effet, lorsque Ham Cheonsoo visite le palais royal de la ville, Yoon Heejeong fait irruption dans le plan comme un objet inconnu qu’il va falloir apprivoiser. Ce premier contact se fait par la parole, une parole différente selon les segments. Ce que dévoile Hong Sang Soo, c’est l’agissement de la parole sur la rencontre de deux corps. Dans un cas, il va mettre le personnage masculin hors champ dans l’atelier, dans l’autre il va lui donner une chance de pouvoir exister.
Finalement tout ce qui est visible à l’écran est sans importance : un décor légèrement différent, une couleur de peinture qui passe du rose au vert… Ce qui compte, c’est l’invisible, une infime variation du regard, un principe de mise en scène décalé.
C’est brillant et le tour de force du cinéaste est de ne jamais tomber dans le dispositif, le concept. Car son cinéma est un cinéma de la vie, un cinéma organique d’une pureté minimaliste, généreux, bienveillant.
Un jour avec, un jour sans est sans aucun doute le grand film de ce début d’année 2016.
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