La première phrase du texte introduisant l’exposition nous dit que l’état du ciel « témoigne de l’attention portée par des artistes, des poètes, des philosophes aux circonstances physiques, morales et politiques de notre monde ». Soit ce que l’artiste fait avec le présent, le rapport qu’il entretient avec ce monde-ci, l’idée que « l’aujourd’hui n’est plus un bloc de destin, mais une surface en mutation qui, en l’exprimant, peut être modifiée ». L’exercice sera vaste donc, à en croire ce premier cartel. Ces trois expositions sont la première partie d’un projet qui continuera jusqu’en septembre, en trois parties.

1 – Georges Didi-Huberman et Arno Gisinger, Nouvelles histoires de fantômes.

Si l’on n’est pas réellement surpris de trouver Georges Didi-Huberman dans cette thématique du « que faire avec le présent », sa présence en tant que commissaire d’exposition, voire artiste proposant une œuvre visuelle, est déjà plus surprenante. La présence également du photographe Autrichien Arno Gisinger qui travaille, entre autres, sur les lieux et images clés de grands événements historiques et leurs évolutions dans le temps semble également de circonstance. Avant de rentrer dans la grande salle où nous est proposée leur double installation, on passe par différents textes autour d’un écran sur lequel défile des images, des tableaux de la renaissance principalement. Si l’on a lu un peu Didi- Huberman, on connait Aby Warburg, historien de l’art allemand avant-gardiste ayant constitué une bibliothèque géante élaborée comme un montage pour une nouvelle approche de l’iconographie. Didi-Huberman reprend ici son ouvrage inachevé L‘Atlas Mnémosyne, et étale sur le sol de la très grande pièce de nombreux extraits de films allant de Eisenstein à Godard en passant par Pasolini. Les vidéos sont disposées à la manière donc d’un montage Warburgien, montrant une histoire sous un angle anachronique, s’attardent sur les résonances formelles et (pour reprendre un terme cher à l’auteur) à la survivance, à son inscription en tant que geste dans une histoire des tentatives de représentation des processus de confrontation au passé et à la présence de la mort dans ce passé, et à la manière dont elle ressurgi dans le présent. C’est donc par le montage que cette survivance voudrait revenir hanter le présent. Mais l’idée d’un montage perçu comme un bloc de temps est contradictoire avec une proposition subjective d’un montage qui nous serait présenté en un seul bloc figé, bien qu’il y ai circulation dans l’espace.

Premier défaut donc, le fait de figer une chose comme ce concept de montage Warburgien, qui semble destiné à n’être que mouvement et associations (libres ?), Warburg lui même n’ayant pas pu terminer son Atlas. Il faudrait également se pencher sur chaque film, chaque photographie et réfléchir au lien entre les éléments pour que le projet fasse sens, malheureusement ce devrait être l’inverse, le sens n’arrive ici que par le sous-texte et l’on regrette les fantômes de Parreno qui exposait dans le même espace quelques mois auparavant.

Un autre problème est que les images choisies sont tirées d’œuvres qui déjà réfléchissent sur ce qui se passe entre les images, entre les blocs d’images et de temps et leur relation à l’Histoire, on sait que Godard ou Dreyer sont des artistes ayant été obsédés par la question du montage, et des extraits de leurs films sont présents ici, créant un effet pléonastique, un emboîtement de positionnements théoriques qui détruisent toute possibilité d’émotion. L’installation échoue malheureusement à « faire art », il semble que le projet soit finalement autre chose, il faut plutôt relire les livres de Georges Didi-Huberman, qui laissent place au mouvement de l’imaginaire et permettent un montage intérieur, une réflexion réelle détachée du cheminement de l’exposition. Nouvelles histoires de fantômes n’est pas une œuvre faite à partir d’idées passionnantes, et qui serait le fruit d’une réflexion autour de ses thèmes, mais bien une tentative de recréer dans un espace d’exposition ce que l’on trouve dans les textes, sans rien en changer, en n’en cherchant que l’équivalent plastique. Leurre.

Du 14 février au 7 septembre

Note: ★½☆☆☆

Nouvelles histoires de fantômes

2) David Douard, Mo’swallow

Ici il est question de maladie, d’allaitement, d’histoire des sciences, des technologies… L’artiste a installé sur un espace conséquent de nombreux objets évoquant un laboratoire scientifique, des personnages difformes, quelques écrans… Il est question d’un sein malade, d’une trajectoire vaguement narrative qui emmène le visiteur d’objet en objet, de sons en sons. Seulement tout semble vouloir faire sens. Comme si chaque micro-détail était la pièce d’un puzzle abscons. L’ensemble est formellement très laid, statique, le peu d’organique injecté là-dedans n’est que punaisé, ne se mue pas en une impression organique, et les thèmes évoqués dans les cartels peinent à s’incarner dans les œuvres. Les bustes de personnages au sol rappellent bêtement Paul MacCarthy, les seins malades évoquent Louise Bourgeois, mais perdue au milieu d’un ramassis conceptuel, sans aucune puissance formelle.

L’exposition fonctionne sous cloche, détenant elle même les réponses aux vagues questions qu’elle soulève, chaque objet est un nouvel élément participant à la confusion générale, à l’opacité de l’ensemble qui n’est pas sauvé par une lumière de laboratoire, qui ne fait pas exister le lieu mais seulement les objets qui y sont exposés. Il faudrait donc tout déchiffrer, tout comprendre pour qu’enfin l’ensemble fasse sens, que chaque élément, chaque son se mettent enfin à rentrer dans un projet permettant une émotion ou au moins une réflexion sur ce que l’on voit. La réflexion ici est limitée à l’effort que l’on doit faire face au peu de vie et d’attrait que comporte l’installation, pour essayer d’en tirer quelque chose, mais quand cette chose apparaît elle semble n’être qu’un éternel rabâchage de thématiques déjà vu des centaines de fois – et en mieux -, l’aliénation, la routine, le corps et la technologie…

Du 14 février au 12 mai

Note: ★☆☆☆☆

mo'swallow

3) Angelika Markul, Terre de départ

Au rez de chaussée du Palais se trouve ce qui peut-être sauve cette première partie de L’état du ciel… Y sont exposées plusieurs œuvres de la diplômée polonaise des Beaux Arts de Paris, Angelika Markul, et tout de suite ces œuvres placent le corps dans une position qui interpelle. Lents travellings panoramiques sur les bâtiments désertés de Tchernobyl accompagnés de moments de crises, couloir sombre et menaçant, mouvement vertical de deux vidéos très impressionnantes faites à partir d’une idée enfantine sublime qu’on ne dévoilera pas, ou encore des plans d’une énorme machine (le plus gros télescope du monde peut-on lire dans la description) qui semble tourner à vide, répétant le même mouvement entre cycle abstrait et tentatives échouant toujours. Le corps du spectateur donc se voit confronté à ces différentes forces, et se promène dans une courte série de salles peu éclairées, qui participent à la création d’un moule sensoriel beaucoup plus propice à la tension et à l’émotion que les deux expositions précédentes. Arrivent enfin les fantômes, ils se nichent dans les entêtantes répétitions des vidéos, et dans les matières noires exposée dans la pénombre, que l’on scrute sans parvenir à identifier.

L’artiste est inspirée par certaines croyances d’indiens du Chili selon lesquelles la terre ne serait qu’un lieu de passage pour l’homme avant qu’il ne parte pour les étoiles. Entre ce télescope, cette caméra qui sonde l’espace ou ce mouvement ascendant magnifique qu’on ne révèlera pas, l’exposition se fait un très bon point de départ pour un état des lieux de ce qu’est le corps de l’homme sur un espace fait de mouvements, mouvements qui sont les siens, donc ceux de la terre, de la nature, et mouvements de l’homme, ici ceux ajoutés par l’artiste par ses effets et travellings, et ceux du corps des visiteurs qui errent dans ces quelques salles.

Note: ★★★★☆

Du 14 février au 12 mai

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