N’allons pas tortiller, la jouer subtile, Big Eyes est un pur film de commande, du moins nous l’espérons. Car si Tim Burton y a mis un peu de lui-même, son cas est alors plus désespéré que nous ne le craignions. Depuis plusieurs films, voire une pleine décennie, il est clair que le réalisateur de Beetlejuice subit une dramatique perte de vitesse. On l’a vu s’auto-singer assez péniblement lors de ses dernières prestations (Dark Shadows), parodier son propre univers, dans une série de films toujours plus creux accompagnant la chute non moins terrible de son alter-ego Johnny Depp. Mais parlons plutôt de Big Eyes.
Pour restituer un peu cette histoire vraie, mais somme toute peu connue, Walter Keane est un peintre dont l’univers visuel constitué d’enfants aux yeux énormes l’a rendu extrêmement célèbre dans les années 50 et 60, jusqu’à ce que sa femme, Margaret, annonce spectaculairement qu’elle était l’auteure de tous les tableaux que son mari la forçait à peindre. Elle gagna son procès après un jugement dont nous laisserons la «surprise», si la lecture de cet article ne suffit pas à décourager.
Christoph Waltz et Amy Adams se chargent d’incarner le couple Keane, choix certainement motivé par l’identité caractéristique des deux comédiens, l’exubérance de Waltz contre l’effacement et les yeux perpétuellement fragiles d’Amy Adams. Il va sans dire qu’il en usent et abusent, Waltz ayant tout de même une assez forte tendance au cabotinage. Le film commence lorsque Margaret quitte sa petite banlieue et le mari qui l’y maltraite pour aller, en compagnie de sa fille, chercher une nouvelle vie dans le San Francisco du Be-Bop et des beatniks, reconstitué pour nous à grands coups de couleurs vives, costumes typiques et attitudes «hip». Elle fait la connaissance de Walter Keane, charmant parleur qui peint de petites aquarelles insignifiantes dans le style d’Utrillo, et n’a aucun succès. Remarquant les tableaux de Margaret, les fameux orphelins, il se fait fort de les vendre et l’épouse du même coup. Sauf que, devant le succès croissant, il ne résiste pas, se les attribue et convainc sa femme de marcher dans le coup. Arrive un phénomène de société sans pareil, que Burton traite de façon très classique, avec frénésie, jazz, plans de photographes déchaînés et cliquetis de rouleaux de presse à n’en plus finir. Le couple s’enfonce dans une spirale mensongère, jusqu’à ce que Maggie se rebelle, sans savoir jusqu’où ira son escroc de mari pour garder intacte sa réputation.
Il est intéressant de voir comment Burton – pas très à l’aise dans ce biopic à la petite semaine – tente de distiller un peu de son univers dans l’ensemble. Il en distille effectivement un tout petit peu. Nous avons donc droit à deux scènes où Margaret, devenant folle de rage, se met à voir partout ces gros yeux qu’elle peint à la chaîne. Ce petit essai de cinéma, bien timide, s’estompe rapidement, et le film de rentrer dans le rang. Pour le reste, on a droit à tous les attributs classiques du biopic n’ayant même pas fait l’effort d’une dramaturgie originale, à savoir de bons gros thèmes fédérateurs auquel il se raccroche comme à autant de bouées. Nous avons parlé de la nostalgie, mais on pourrait aussi parler de ce féminisme légèrement naïf et grand public qu’il dispense à la truelle. Quant aux considérations sur l’art, qui «doit venir du cœur»…
Puis le film s’essouffle pour de bon, se réfugie dans des gimmicks de collégiens, comme lors du procès final où Walter, n’ayant pas trouvé d’avocat, assure sa propre défense et s’interroge lui-même, un gag vieux comme le monde. Si l’on observe bien Christoph Waltz à ce moment-là, on lit presque dans ses yeux l’embarras d’avoir recours à de tels enfantillages. Pendant ce temps, Amy Adams prend des airs désespérés, pouvant tout de même compter sur sa fille assise derrière elle et qui la soutient bien fort, jusqu’au prévisible happy end, où le film se termine à telle vitesse que les lumières de la salle ont du mal à suivre.
Pour terminer cet article qu’on jugera sûrement facile, nous citerons Terence Stamp, dans son rôle du critique d’art bougon: «L’art sert à élever le monde, pas à le flatter.»
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