Observation ironique et parfois cruelle des relations hommes femmes, triangles amoureux, quiproquo vaudevillesques, théâtralité des situations, le cinéma de Hong Sang-Soo, s’il ne se renouvelle pas fondamentalement, permet au spectateur d’identifier des motifs récurrents du cinéaste qui lui confèrent un aspect ludique excluant l’ennui de la répétition. Car sous une forme a priori modeste et nonchalante, le réalisateur impose en douceur un univers singulier, construit une œuvre où il n’y pas de fulgurance manifeste, pas un film au dessus de l’autre mais une belle cohérence globale. Hong Sang-Soo systématise donc avec « HA HA HA » une formule connue et familière avec une grande économie de moyens : quelques personnages principaux, une poignée de décors seulement, mais où toutes les combinaisons possibles sont explorées. L’histoire est celle de Jo Munkyung, réalisateur de films et de son ami Bang Jungshik qui, avant le départ du premier, échangent en trinquant leurs souvenirs respectifs d’un séjour à Tongyeong, petite ville balnéaire où ils ont rencontré les mêmes personnes mais sans jamais s’y croiser eux mêmes. Le discours arrosé, la parole échangée est sans cesse contredite par la réalité du récit tel que délivrée au spectateur par le cinéaste, dans un jeu d’aller retour entre le réel et le mensonge où la forme est celle d’un théâtre des sentiments joliment orchestré. Toutes les options entre les personnages sont explorées et chaque lieu est revisité afin d’y jouer une version différente d’une scène antérieure, parfois par le simple procédé du champ/ contre champ qui modifie le point de vue et signifier davantage la théâtralité du propos. De la même façon, quand Hong Sang-Soo filme une scène autour d’une table, la forme est celle du plan séquence qui enregistre l’expérience de la durée, sans coupe ni raccord. Quand il décide d’effectuer un focus sur un personnage, il a recourt au procédé a priori désuet du zoom, pour obtenir un gros plan d’un visage, puis dézoomes ensuite afin d’englober à nouveau tous les participants. Cette manière de filmer, strictement fonctionnelle, reproduit ni plus ni moins le mouvement de l’œil humain et impose de facto Hong Sang-Soo comme l’observateur privilégié des drames humains que se jouent devant sa caméra.
Car si le cinéma de Hong Sang-Soo se limitait à un strict comique de situations à base de chassés croisés amoureux, il n’aurait qu’un intérêt que très limité. Ce qui le caractérise, c’est le moment où le comique se mélange à la cruauté et à l’ironie, dressant un portrait peu reluisant de l’homme coréen, de ses fragilités, ses névroses, ses faiblesses. Ainsi, Jo Munkyung est un metteur en scène qui n’a jamais réalisé de films et qui part au Canada reprendre une affaire de photomatons ( !). Indécis, maladroit, manquant d’assurance, il donne volontiers des leçons de vie que lui a transmis dans un rêve l’amiral Yi Sunsin, le héros national coréen et s’adonne au portrait psychologique à partir d’indices recueillis frauduleusement. Bang Jungshik quant à lui, est un faux dépressif, incapable de faire un choix entre sa vie de famille et une maitresse auprès de laquelle il hésite à s’engager, mais conseille à un ami poète d’arrêter de se mentir et de regarder la vie en face. Chacun donne dans la parole un simulacre d’apparence sociale contredit par ses actions envers les autres ou soi-même. Mensonges, trahisons, faux semblants, lâcheté caractérisent les personnages chez Hong Sang-Soo, si bien que la volonté de séduire, les convoitises amoureuses tournent à la farce, au grotesque, voire à une dimension burlesque nouvelle où une mamie corrige à coup de cintre son grand fils et où en guise de rupture, la femme porte sur son dos son ex compagnon avant de s’écrouler sous son poids. L’éclat de rire du titre revêt alors deux significations contraires : c’est celui des deux compères imbibés d’alcool qui se remémorent leurs souvenirs et celui du spectateur, témoin compatissant de la comédie humaine qui se joue sous ses yeux.
Note: