Les neiges du Kilimandjaro, le dernier film de Robert Guédiguian, s’apprécie comme une bonne vieille chanson de variété des années 60/70. Il est populaire dans le sens où il contient en même temps une certaine dose de naïveté, de sentimentalisme – voire de facilité – qui procurent une sensation de bien-être, mais avec un sens profond qui va au-delà de son apparente simplicité. On connait pourtant par cœur la gamme du réalisateur, qui nous est familière car elle obéit à un systématisme qui peut agacer à force de répétition. L’Estaque et les docks de Marseille, le syndicalisme, le milieu ouvrier, le combat politique, la fibre sociale, Arian Ascaride, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan comme fidèles compagnons de route… On croyait que Robert Guédiguian en avait fait le tour en plus de trente ans de carrière. Pourtant, tel un musicien livrant son meilleur album sur le tard, il nous offre avec Les neiges du Kilimandjaro un de ses meilleurs films, beau, juste, émouvant tout en évitant la caricature et le pathos.
On pensait pourtant que Gédiguian allait nous rejouer Cosette, d’autant plus que le film est adapté d’un poème de Victor Hugo, Les pauvres gens, récit d’un couple de pauvres pécheurs qui recueille deux enfants abandonnés. Le premier acte du film déroule en effet une partition attendue chez Guédiguian : ce couple de pêcheur, dans l’Estaque de 2011, c’est Michel et Marie-Claire, qui fête leurs trente ans de mariage. Lui est un soudeur au chômage qui tente de retrouver du travail, elle est aide à domicile, elle fait des ménages chez des personnes âgées. Réalisme social, oppositions de classes, lutte ouvrière, pastis et sardines grillées, le ronron vole en éclats quand Michel et Marie-Claire sont victimes d’un home jacking perpétré par deux individus masqués qui leur volent l’argent destiné à financer un voyage en Tanzanie. Michel découvre que l’un des voleurs n’est autre que Christophe, un jeune collègue des docks licencié en même temps que lui à la faveur d’un tirage au sort.
De la chronique sociale et réaliste, le film opère un détour inattendu vers les codes du film noir et du polar avant de revenir vers la fable humaniste, porté par des questionnements profonds et bouleversants. Michel et Marie-Claire, victimes de cet acte de violence s’interrogent et se remettent en cause en s’apercevant qu’ils sont les «riches» de quelqu’un d’autre. Après un réflexe initial de justice, ils cherchent à comprendre sans condamner, se demandent pourquoi ils ont été agressés, ce qu’ils auraient pensé d’eux s’ils se voyaient avec les yeux de la jeunesse, si les moyens de leur combat syndical est approprié. «Je me dirais que nous sommes arrivés-là sans avoir fait de tort à personne », dit Marie-Claire en substance. La complicité manifeste entre Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin porte ce discours dans le dialogue avec beaucoup de justesse et d’humanité.
Robert Guédiguian ne prend pas le spectateur en otage en ayant recours à la caricature. Ainsi Christophe, qui aurait pu être caractérisé uniquement comme la victime d’un système, est aussi un être hautain, fier et froid. Il renvoie Michel à ses certitudes syndicalistes. Les enfants de Michel et Marie-Claire, pourtant élevés dans des valeurs de bonté et de générosité sont égoïstes et empêtrés dans des petites considérations d’adultères et de crédits immobiliers. Et Michel, enfin, dans une première réaction de vengeance, violente son agresseur sous l’œil complice de la police. Avant d’accomplir avec Marie-Claire un geste de bonté, celui du poème de Victor Hugo qui fait du couple de vrais héros modernes, non pas de pauvres gens mais de belles gens. Et Les neiges du Kilimandjaro de devenir une forme de prototype de feel good movie à la française, une fable utopiste et optimiste.
Les neiges du Kilimandjaro, en dvd et blu ray – Disponible.
Note:
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