Il suffit d’une séquence introductive inouïe d’inventivité, de rythme et de mouvement pour que Les Cinq Légendes supplante en moins de trois minutes la concurrence avec une facilité déconcertante (après un Cars 2 de triste mémoire, la Rebelle de Pixar n’a pas fait mieux l’an dernier). Dans cette scène pré générique, tout ce qui fait la force du film se joue, en termes d’animation – avec ce qu’elle a de photo réaliste et dans ce qu’elle doit également à l’imagination et au rêve -, de découpage, de caractérisation des personnages, et de déplacements dans le cadre. Il est instantanément manifeste qu’on est face à un film qui ne prend pas les enfants pour des idiots et qui sait aussi s’adresser intelligemment au public adulte. Sans doute la présence de Guillermo del Toro aux postes de conseiller artistique et producteur exécutif est-elle pour beaucoup dans cette réussite, le Mexicain étant un familier de l’imaginaire de l’enfance, avec ce qu’il suppose de visions merveilleuses, mais également d’imagerie monstrueuse. Les cinq Légendes est bâti sur ce procédé manichéen très simple du bien – la force des contes – contre le mal – le cauchemar -, mais sans pour autant céder quoi que ce soit au simplisme que laissait craindre un tel enjeu a priori caricatural. Le film est au contraire d’une immense richesse thématique, réflexif et profond mais n’oublie jamais d’être aussi un grand spectacle drôle et divertissant.
La scène d’ouverture, qui introduit le personnage de Jack Frost, situe donc d’emblée le film sur le thème de la quête initiatique et d’identité et sur celui de la responsabilité. Car les cinq légendes du titre, issues des mythes populaires, sont caractérisées comme des super héros de comics avec ce que cela implique de charge morale et de poids de la fonction. Le père Noël, le Lapin de Pâques, la Fée des dents (équivalent anglo-saxon de notre Petite Souris) et le Marchand de Sable ont pour mission de veiller sur le monde de l’enfance et sont dotés de supers pouvoirs. Jack Frost, quant à lui, n’a pas trouvé sa voie. Il est espiègle et joueur, mais n’a pas de fonction et pourrait de ce fait basculer facilement du mauvais côté, celui de Pitch Black qui trouve sa légitimité dans la peur qu’il procure aux enfants. On le voit, le schéma est classiquement celui de l’incarnation du bien qui lutte contre son doppelgänger, figure inversée, fascinante et tentatrice. C’est aussi strictement celui du parcours du héros tel que Joseph Campbell l’a illustré dans Le héros aux milles et un visages et de ses étapes obligées qui lui permettent de trouver sa place dans le monde et de forger son identité. En termes de construction personnelle et d’identification, le jeune public trouvera dans le film une belle leçon de courage et un moyen de surmonter ses peurs. Tandis que les adultes y verront un message à conserver en eux une part d’enfance, synonyme d’une capacité d’imagination et d’une propension au jeu souvent perdues.
Bien sûr, Les cinq légendes est avant tout un immense spectacle pour les enfants, basé sur une mythologie réactualisée de manière contemporaine, façon Avengers. Chaque « légende » est ainsi débarrassée de ses attributs poussiéreux pour en donner une vision moderne et dynamique. Le Père Noël a les avant-bras tatoués et conduit un traineau qui ressemble à un vaisseau spatial, le Lapin de Pâques joue de ses boomerangs comme un maître du kung fu… Tous prennent des pauses iconiques très loin des vieux livres d’images. Les mouvements de caméra que permet l’animation donnent son rythme au récit dans une logique de fuite en avant systématique qui ne cède cependant rien à l’hystérie ou à une agitation vaine, mais autorise des scènes d’action inventives et époustouflantes. Le production design instaure un univers très complexe dans le niveau de détail des décors et des accessoires. Ceux-ci ont une fonction précise dans la construction de la narration et son évolution. Ainsi, la dent retrouvée de Jack Frost est la clé qui lui permet de résoudre son trauma originel et de devenir enfin visible aux yeux des enfants. Une sorte de Rosebud en quelque sorte, qui résout le mystère central du film. De là à affirmer que Les cinq légendes serait le Citizen Kane du cinéma d’animation, il n’y a qu’un pas qu’on s’empresse de franchir sans hésitation !
Les cinq légendes, disponible en dvd, blu-ray, blu-ray 3D (DreamWorks Animation SKG)
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