L’épisode du déluge est l’un des tous premiers récits d’apocalypse de l’histoire de l’humanité, et vue la vague de films de fin du monde qui déferle depuis quelques temps, rien d’étonnant à ce qu’il connaisse aujourd’hui une transposition à l’écran. 2012, Melancholia, Les Derniers jours du monde… autant de réalisations, si différentes soient-elles, qui a l’apocalypse pour sujet. Ce thème a toujours intéressé le septième art mais son gain de présence dans le cinéma des dernières années interroge tout de même. La prise de conscience du péril écologique y est-elle pour quelque chose ? *
En tout cas, Noé de Darren Aronofsky présente une lecture de la Genèse qui pourrait presque passer pour une interprétation extrémiste du Principe Responsabilité de Hans Jonas. Puisque les humains sont mauvais et ne causent que du tort, autant tuer tout le monde et qu’on n’en parle plus. La Terre retrouvera son statut de jardin d’Eden, bonne et noble, et l’homme, dangereux et mauvais, ne viendra plus la mettre en péril (alors que la nature n’est ni bonne ni mauvaise, puisqu’elle ne peut bien sûr pas faire de choix moral). Le spectateur qui connaît son catéchisme voit le suspense du film quelque peu gâché puisqu’il sait bien pour sa part que les descendants de Noé repeupleront la Terre.
Aronofsky avait déjà fait montre de son goût pour la pompe dans ses précédents films, des productions de plus mince ampleur, mais qui tentaient d’en mettre plein les yeux (à l’exception notable de The Wrestler, monument de sobriété comparé au reste de sa filmo). De pompe, ce Noé ne manque pas non plus, et avec un budget solide, le cinéaste a d’autant plus de latitude pour laisser libre cours à ses tendances. Mais comme à son habitude, il procède par une succession d’effets-choc cache-misère se révélant bien vite être un numéro d’épate.
Pour preuve, alors que le film s’ouvre sur un cosmos où viennent s’inscrire des lettres dorées, résonne déjà une musique tonitruante et solennelle. Le message envoyé au spectateur est clair : c’est du sérieux, ça ne sera pas une partie de rigolade. Un spectateur qui peut du même coup avoir la désagréable impression d’être pris pour plus bête qu’il n’est.
De son esprit de sérieux, le film ne va jamais se défaire. Il faut voir les acteurs, Russel Crowe en tête, afficher des visages graves et prononcer des sentences solennelles à longueur de film. A ce jeu-là, Anthony Hopkins en Mathusalem tire vraiment son épingle du jeu, et tout en subtilité et en finesse, nous rappelle combien il est un grand acteur.
Or ce sérieux a pour revers un manichéisme dont le long-métrage ne se défait que dans la seconde partie, une fois la famille réunie dans l’arche, où le personnage de Noé se fait plus ambivalent. Pour le reste, Ray Winstone n’évite pas le ridicule en Tubal-Caïn cupide (il ne parle pas, il beugle), et tandis que la famille de Noé est parée de toutes les qualités, la peinture du reste de l’humanité comme berceau du vice et de la méchanceté est grossière et outrée. Et pour ces défauts, il serait trop facile de porter le blâme sur l’œuvre originelle.
Afin de mener à bien sa reconstitution de l’épisode du déluge, Aronofsky s’est doté en effets spéciaux spectaculaires mais dont il use et abuse. Certains tableaux possèdent une certaine force, ainsi celui des visions prémonitoires de la catastrophe par Noé, mais le reste se maintient dans le kitsch et la grandiloquence. Quand il s’adresse à Dieu, le héros tombe à genoux et le cinéaste montre le ciel. Comme suggestion du sacré, c’est faible ! Que penser par ailleurs de la représentation du bestiaire ? Pas un seul véritable animal n’a été utilisé et malheureusement, ça se voit, ceux-ci se réduisant souvent à une masse informe en image de synthèses. Sur ce plan, le film manque singulièrement de poésie. En revanche, le réalisateur n’hésite pas à sortir la grosse artillerie quand il s’agit de montrer la tentative d’assaut de l’arche par les hommes emmenés par Tubal-Caïn. De même, l’esthétique clipesque à laquelle il recourt pour relater les épisodes de la Genèse est singulièrement laide et fait regretter le panache d’un Terence Malick pourtant souvent moqué.
Noé est un film qui espère impressionner en se parant de solennité. Il donne une illustration pompière de la Bible plus qu’il ne suggère et fait éprouver le mystère du sacré. En somme, c’est un grand spectacle qui ne se distingue en rien des grosses productions d’heroïc fantasy dans le style du Monde de Narnia. Du cinéma qui en met plein la vue et plein les oreilles, très sûr de ses effets, mais dont les attirails pompiers ne cachent pas longtemps les défaillances.
* C’est l’occasion de signaler le passionnant essai de Peter Szendy, L’Apocalypse-cinéma (Capricci), qui se penche sur la fortune du genre « apo » et « post-apo » dans le septième art.
Noé, sortie le 9 avril 2014
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