On se préparait à l’exposition Kubrick à la Cinémathèque française comme un gamin à une visite de Disneyland. Après Mebourne, Berlin, Rome, Zurich et Gand, la France rend hommage à l’un des rares « grand maîtres » du septième art, qui a construit une des œuvres les plus importante, aboutie, cohérente, incontestée et définitive que l’on puisse imaginer. Il a réalisé peu de films, seulement treize, mais a sans cesse révolutionné le genre auquel il s’attaquait, qu’il s’agisse de la science-fiction, du cinéma d’horreur, du film en costume, du film de guerre ou du drame intimiste. Kubrick avait la réputation d’un génie visionnaire, misanthrope et perfectionniste, qui travaillait longtemps ses sujets, accumulait les documentations, les prises de notes, les recherches. Un sujet rêvé donc, pour une exposition que l’on attendait de pied ferme et précédé d’un battage médiatique impressionnant et d’un succès public massif depuis son inauguration le 23 mars dernier. Si l’exposition de la Cinémathèque satisfait manifestement le grand public qui se rue en masse, les fans les plus furieux et exigeants du cinéaste dont nous faisons partie y trouveront-ils leur compte ? Verdict.
L’exposition occupe exceptionnellement deux étages de la Cinémathèque mais on ne peut pas s‘empêcher de penser en commençant la visite qu’un tel espace ne peut suffire à contenir tout le génie de Kubrick, à embrasser l’ensemble des thématiques et des figures récurrentes du cinéaste, les influences picturales, l’héritage du réalisateur dans le cinéma contemporain… On se rend effectivement très vite compte que le choix manifeste de l’installation n’est pas d’offrir au spectateur un appareil critique et une approche éditoriale sur l’ensemble de l’œuvre mais plutôt de proposer l’exploration d’un musée où sont réunis pêle-mêle scénarios annotés, courriers, notes de production, plans de tournage, maquettes, photos, costumes, matériel de prises de vues, accessoires de tournage, affiches d’époque, illustrations, peinture… La circulation se fait chronologiquement, avec un espace réservé à chacun des films, interdisant toute déambulation, flânerie ou raccourci que voudrait s’autoriser le visiteur. Des installations vidéos diffusent des extraits choisis des films ou des interviews, mais celles-ci sont issues de matériel déjà connu, pour l’essentiel le film A life in picture, ou le making of de Shining réalisé par sa fille. Alors certes, on prend plaisir à découvrir de visu le costume des singes de 2001 : l’odyssée de l’espace, les tables du Moloko Bar de Orange Mécanique, les masques de Eyes wide shut ou à marcher sur la moquette de Shining dans l’escalier nous menant entre les deux étages.
Cependant, les interactions avec le public sont assez peu nombreuses, si ce n’est cette explication de la projection frontale utilisée dans 2001 : l’odyssée de l’espace qui joue avec la projection des ombres des visiteurs. On aurait aimé que certains axes choisis autour de films soient moins schématiques, comme celui de la censure et de la violence au sujet de Orange Mécanique, qui reproduit le courrier d’une spectatrice affirmant qu’elle n’irait plus jamais au cinéma après avoir vu le film et une note de censure exigeant des coupes pour la distribution du film en Irlande. Barry Lyndon se voit aussi réduit à quelques costumes issus d’une malle alors que les influences picturales auraient parfaitement pu être abordée pour souligner le visuel somptueux du film. Ce ne sont pourtant pas les thématiques kubrickiennes qui manquaient pour jeter des passerelles entre les films. Rien donc sur la violence, le masque, le spectacle et la danse, le travelling arrière, la symétrie… qui auraient permis de mieux appréhender le génie du réalisateur.
La fin de la visite, cachée derrière la boutique au fonds d’un couloir obscur est dans ce contexte peut-être la plus passionnante. On y circule devant les clichés de Kubrick photographe de presse où s’impose comme une évidence la qualité de composition, le cadrage, l’acuité du regard qui annonce le futur maître qu’il deviendra. Et la dernière salle est consacrée aux films inaboutis du réalisateur : Aryan papers, Napoléon et A.I. Ce raccourci entre les débuts, les promesses d’une œuvre (ce qui sera) et les promesses non tenues (« Napoléon sera le plus grand film jamais réalisé » a écrit Kubrick), ce qui ne sera pas, est sans doute l’idée la plus audacieuse de cette exposition. Alors même si la déception est le sentiment qui prévaut (logiquement dira-t-on, on en attendait sans doute trop), on ne peut que se réjouir que Kubrick soit ainsi au centre de l’actualité et on trouvera de multiples façons de prolonger la visite de l’exposition. A la cinémathèque avec des rencontres et des conférences, en kiosque avec les hors séries des magazines Trois Couleurs et Les inrockuptibles, de longs articles dans les derniers numéros de Positif ou des Cahiers, en librairie avec la réédition de l’ouvrage de référence de Michel Ciment ou du gros volume que consacre les éditions Taschen à Napoléon, dans son salon avec l’intégrale blu ray ou dvd et bien sûr en salles, avec les reprises de ses films majeurs.
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