Étonnant album que ce Asgard, publié chez Dargaud, qui s’éloigne très vite de l’imagerie viking auquel il semblait a priori voué pour dérouler un récit plus proche de Hermann Melville et Moby Dick, que de Thorgal, figure tutélaire du genre en bande-dessinée. Si l’histoire se déploie au sein d’un univers familier aux amateurs de décors nordiques grandioses, de fjords, de drakkars et de croyances mystiques, cette chasse au monstre marin permet surtout une quête initiatique comme celle unissant le Capitaine Hachab et la baleine qu’il poursuivait. C’est la deuxième collaboration particulièrement réussie entre Xavier Dorison au scénario, et Ralph Meyer au dessin.
Ralph Meyer que nous avons rencontré et qui nous raconte les origines de cette collaboration.
«Pour XIII Mystery, mon éditeur historique qui a lancé la série m’a demandé si j’étais d’accord pour faire un album, nous dit Ralph Meyer. J’ai répondu que ça m’intéressait et que je voulais faire quelque chose sur la Mangouste. Justement, Dargaud avait commandé en parallèle un travail spécifique sur ce personnage à Xavier Dorison. C’est dans ces circonstances que nous nous sommes rencontrés. Ça a été une belle aventure professionnelle. Nous avons la même philosophie de travail, le même degré d’exigence. Nous nous sommes très bien entendus au point de devenir potes et l’envie de retravailler ensemble est devenue une évidence. Nous avons ensuite été contactés par le Lombard pour participer à la série Les Mondes de Thorgal, dont le spin-of Kriss de Valnor est sorti. Ça nous plaisait car c’est une lecture d’adolescent. Le projet ne s’est finalement pas fait mais l’idée est restée et c’est comme ça qu’est né Asgard. »
Il faut sans doute une telle complicité pour permettre ce niveau d’achèvement entre un scénario à tiroirs qui alterne le monumental et l’intime, et le dessin autorisant une immersion totale dans un milieu beau et hostile à la fois. «Avec Xavier, on travaille main dans la main dans tout le processus du bouquin, avoue Ralph Meyer. Je pouvais être intrusif dans le scénario comme lui pouvait l’être sur le dessin. On discute beaucoup en amont, mais aussi pendant la réalisation, nous sommes dans une émulation permanente. C’est bien de ne pas se sentir seul pendant un an et demi, durée pour faire un album».
Après avoir œuvré dans la science–fiction et dans le polar avec la série des IAN, Berçeuse assassine et XIII Mystery, Ralph Meyer réussit haut la main son changement de style et de genre : précision du trait et souci du détail, séquences d’action fluides et lisibles, caractérisation des personnages réussies, avec toujours un esprit «old school» qui fait d’Asgard un album dans lequel on aimera certainement se replonger dans quelques temps. «Ce récit me permettait d’échapper aux univers exclusivement urbains dont j’avais l’habitude. C’était excitant de ne plus avoir de repères, de me retrouver face à des défis graphiques qui ne se posaient plus à moi, comme dessiner un lac ou une montagne. On est ici clairement dans le genre de la traque obsessionnelle, comme dans Moby Dick ou dans Les dents de la mer, avec un traitement du récit proche de Jack London. La lecture de la première mouture du scénario m’a fait repenser à cela. En lisant les récits de voyage de Jack London, je me souvenais d’avoir eu froid avec les personnages, d’avoir ressenti la nature hostile. Je me suis donné les mêmes objectifs principaux à atteindre graphiquement».
Avec une bande-dessinée se situant dans l’univers des vikings, il est impossible d’échapper à la comparaison avec Thorgal, LA référence absolue du genre, que le duo parvient cependant à transcender sans s’y frotter frontalement, les intentions étant différentes. «Si on s’adresse à un premier cercle de lecteurs de bandes dessinés, le personnage créé par Jean Van Hamme est celui qui vient immédiatement à l’esprit et ça ne nous intéressait pas d’en faire un succédané. Nous voulions un travail très réaliste, avec une échelle humaine où l’angle de caméra est à niveau d’homme. On a des décors grandioses, gigantesques, mais l’histoire se déroule dans un univers clos avec très peu de personnages. On a aussi voulu éviter d’être dans le cliché de l’imagerie celtique où on n’est plus dans une volonté de crédibilité».
«Concernant mes sources d’Inspiration, je me gave de visuels en amont, je pioche beaucoup de photos dans des bouquins ou sur internet. Et comme j’ai une bonne mémoire visuelle, je digère tout cela et je le réinjecte dans un détail qui va servir mon intention. D’un point de vue des influences cinématographiques, Les Vikings de Richard Fleisher ne me parle pas beaucoup. En revanche, dans Valhalla Rising, le traitement formel m’a beaucoup intéressé, il est très cru, sans fioriture, c’est vers cela que je voulais me diriger. Et puis, il y a la première partie de Erik Le Viking qui m’a beaucoup inspiré, celle qui se passe dans le village est très réaliste. Peu de gens le savent mais Terry Jones est un spécialiste d’histoire médiévale, son travail est très précis et documenté. »
Pied-de-fer, le premier tome d’une série prévue pour être un diptyque, s’impose instantanément comme une belle réussite dont on attend la suite avec impatience. Elle lèvera certainement le voile sur le passé d’Asgard, ici volontairement laissé hors-champ, mais qui justifierait – on imagine – une série à elle seule. Elle permettra aussi de trancher entre les deux hypothèses qui entourent le krökken : aberration de la nature ou Serpent-Monde de la Mythologie, fils des Dieux. Après ce deuxième tome déjà en préparation, Ralph Meyer nous dit vouloir travailler sur un projet de western. Il devra se frotter à une autre figure incontournable du far-west : le lieutenant Blueberry. «Jean Giraud est une référence très intime, j’ai mis des années à me permettre l’idée de faire un western. Il est allé tellement loin qu’il est impossible de rivaliser. Je veux faire un western différemment car c’est un univers où on peut raconter plein de récits de toutes sortes. On va partir du personnage du croque mort qui est sous utilisé. Il y a beaucoup de potentiel avec des thématiques comme celle de la mort, mais avec un biais qui ne sera pas le même que ce qu’on a l’habitude de voir». Nul doute, Ralph Meyer est un auteur talentueux et ambitieux qu’il faut suivre attentivement.
Propos recueillis à Toulouse, le 28 avril 2012
Merci à Raphaële Perret, de la librairie Gibert Joseph de Toulouse
Asgard, Tome 1 – Pied de fer (Dargaud), disponible
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