Au programme, deux films de la compétition officielle, Dheephan du français Jacques Audiard et The Assassin du taïwanais Hou Hsiao Hsien.
Dheephan se veut, selon les termes de Jacques Audiard, une adaptation libre des Lettres Persanes de Montesquieu.
Avec cette œuvre qui prenait la forme d’une correspondance fictive entre un philosophe persan et ses amis restés au pays, Montesquieu abordait pour la première fois dans la littérature française le regard étranger sur notre civilisation occidentale, un regard sans concession sur nos institutions et la violence sociale sous-jacente.
Dans le film d’Audiard, il s’agit aussi de cela. Mais la comparaison s’arrête là. Alors que Montesquieu situait son propos au début du 18ème siècle, Audiard parle de la France d’aujourd’hui au sein d’une banlieue parisienne gangrénée par les trafics et des difficultés à être un migrant.
Même si Audiard se défend de toute dimension politique, il est difficile d’en faire totalement abstraction. Et c’est sans doute la limite du film qui s’avère assez peu subtil dans le regard qu’il porte.
Dheephan est un soldat tamoul engagé dans une guerre sans merci au Sri Lanka. Le film s’ouvre sur une scène de crémation où l’on voit le personnage brûler les siens tués au combat.
Il décide très vite de fuir cette guerre, qu’il a de toute façon perdue, vers la France, avec une épouse qui n’est pas la sienne et une fille auto-proclamée. L’intégration sera d’autant plus facile si elle se passe en famille aussi fabriquée soit-elle, pense-t-il.
On suit donc ces personnages dans leur long parcours vers l’intégration et c’est sans doute la partie du film la plus réussie. Dheephan est un soldat, habité par le combat et la violence. Il croit pourvoir s’affranchir de sa propre nature et fera tout pour changer de vie.
Il devient gardien d’immeuble dans cette zone sensible, scolarise sa prétendue fille, et mène une vie modeste mais sereine avec celle qu’il considère de plus en plus comme son épouse. Ce sont tous ces petits moments de grâce qui touchent au cœur et prennent l’apparence d’un grand film social réussi sans aucun manichéisme.
Et puis le film déraille, change de direction. Confronté à la violence ordinaire des barres de HLM, Dheephan remet son habit de soldat et nettoie le secteur au tournevis et à la machette. Audiard présente alors ce territoire de combat comme une no-go zone infranchissable et en fait une idée universelle. Jusqu’à présenter dans son épilogue l’Angleterre comme seule terre d’accueil valable des migrants. Sans doute trop réducteur pour donner suffisamment de force au film.
Reste la mise en scène, impeccable et efficace, à la manière d’Audiard. Que cela soit la partie Sri Lankaise qui ouvre le film ou l’immersion dans le quotidien de la violence, Audiard impressionne par la puissance de ses plans.
Le score musical, très noir, est laissé cette fois aux mains de Nicolas Jaar, en lieu et place d’Alexandre Desplats, et souligne de manière très profonde la montée d’une violence sourde et inéluctable.
Enfin, la découverte de cet acteur incroyable : Jesulthasan Antonythasan, véritable Tigre de la libération de l’Ilâm tamoul, devenu écrivain, irradie le film de sa présence animale.
Le film est donc une demi-réussite ou un demi-échec. Nous verrons ce qu’en pensera le jury.
The Assassin de Hou Hsiao Hsien était l’autre film de la compétition.
Le film était très attendu du fait que le maître taïwanais se fait rare, son dernier film remontant à 2007 avec Le voyage du ballon rouge, et que The Assassin a mis presque une décennie à se faire. On parlait déjà de lui pour l’édition 2014 du Festival de Cannes.
Hou Hsiao Hsien retrouve Shu Qi, sa sublime actrice vue dans deux sommets de son œuvre : Millennium Mambo et Three times.
L’action se situe dans la Chine du 9ème siècle aux prémices de la chute de la dynastie Tang. Nie Yinniang (Shu Qi) est un assassin. Après de longues années d’exil, elle revient dans sa famille après avoir était formée aux arts martiaux par une nonne. Sa mission est d’éliminer les tyrans et de faire régner l’ordre au sein de l’empire. Très vite elle va devoir se confronter à un choix cornélien, assassiner l’homme qu’elle aime ou rompre pour toujours avec l’ordre des assassins.
Le film est magnifique dans sa réalisation.
Il s’ouvre sur un prologue en noir et blanc pour évoquer le passé du personnage principal à la manière ancienne de faire du cinéma pour ensuite passer en couleur comme on passerait au temps présent du récit.
Le film a souvent été présenté comme un film de sabre. Hou Hsiao Hsien y imprime résolument son style. Ici pas de voltige, de gros plans ou de montage théâtralisant. Le cinéaste enchaîne de longs plans séquences permettant de capter les éléments de l’histoire en une seule fois et les scènes de combats sont souvent furtive et pour certaines hors champ.
On retrouve la veine sensible du cinéaste qui a cette façon unique de faire ressentir au plus profond de soi les éléments qui composent une scène. Les plans de forêts de bouleaux et de lacs ou de chevauchées filmés en Mongolie intérieure sont sublimes. Les scènes de huis clos, très présentes, multiplient les couches feutrées à la manière des Fleurs de Shanghai, son chef d’œuvre ultime.
Néanmoins, le rythme très lent exige une attention maximale du spectateur. Hou Hsiao Hsien a toujours été un cinéaste de la contemplation. The Assassin n’échappe pas à la règle. Et lorsque l’on demande au cinéaste quelle est pour lui la place du spectateur, il répond : « Je le vois comme assis sur la berge du torrent, à guetter tout ce qui se passe, les remous comme les moments de calme. Mais je l’espère aussi plongé dans le courant du torrent, littéralement dans le bain, emporté par les tourbillons de sa propre imagination ».
C’est toute l’audace et la force du cinéma d’Hou Hsiao Hsien.