Au programme, trois films de la sélection officielle, Saul Fia (Le fils de Saul) du Hongrois Laszlo Nemes, The lobster du grec Yorgos Lanthimos, tous deux en compétition et Hrutar (Béliers) de l’Islandais Grimur Hakonarson présenté à Un Certain Regard.
Avec The Lobster, Yorgos Lanthimos signe sans aucun doute le film le plus enthousiasmant de cette première partie de compétition. Il réunit un casting impeccable autour de Colin Farell, Rachel Weisz et Léa Seydoux et livre un petit OVNI décadent bourré d’humour, de poésie anachronique et de mystère que la musique hitchcockienne souligne à chaque instant. Dans un futur proche, toute personne célibataire est arrêtée et transférée dans un hôtel qui rappelle l’Overlook. Elle a 45 jours pour trouver l’âme sœur sous peine d’être transformée en l’animal de son choix. David (Colin Farell) s’y retrouve malgré lui après le décès de sa femme et choisit le homard comme animal de destination. « Il vit 100 ans, a le sang bleu des nobles et évolue dans les limbes des océans » assène-t-il alors que la plupart de ses congénères choisissent le chien ou le lapin comme pierre tombale. Mais bien entendu tout se dérègle lorsqu’il choisit de rejoindre la résistance des solitaires qui ont fait le vœu de vivre seuls toute leur vie. Le personnage sans patronyme de Léa Seydoux conduit cette troupe de résistants parmi lesquels David rencontrera celle qui va changer sa vie. Ce que le film cultive, c’est la thématique du ou. Ici il faut choisir, pas d’alternative, aucune nuance. Les chaussures ne se conçoivent pas en demie-pointure, la sexualité ne s’entend que de manière binaire : être hétérosexuel, homosexuel ou bien mourir et les signes particuliers n’ont pas le droit d’exister. Uniformisation du couple ou solitude absolue, totalitarisme d’une sexualité à deux ou radicalité libertine, codes sociaux grotesques ou absence de morale, c’est de tout cela dont parle le réalisateur avec un sens de l’absurde dévastateur. L’absurdité dans les contre-emplois des acteurs qui livrent des prestations ubuesques, l’absurdité dans les situations où les chameaux passent en arrière plan, l’absurdité dans l’action où les danses sont incongrues et où la sexualité ne rime qu’avec sodomie ou masturbation. La mise en scène n’est pas en reste. Touche par touche, avec minutie, Lanthimos créé un univers iconoclaste soutenu par une caméra langoureuse qui se confronte à des ralentis d’anthologie lors d’une scène de chasse ou une tentative de séduction. A garder dans un coin de sa tête car le film pourrait sans aucun doute se retrouver dans les lauréats de l’édition 2015.
Dans un registre totalement différent, Le fils de Saul est le seul premier long métrage présenté en compétition à Cannes cette année. Autant dire qu’il suscite beaucoup de curiosité depuis l’annonce de la sélection par Thierry Frémaux. Et encore plus par le sujet qu’il embrasse : le quotidien du travail de l’horreur au sein du camp de la mort d’Auschwitz. Là où Claude Lanzmann n’a cessé de questionner comment montrer l’immontrable, le jeune Laszlo Nemes fait donc de la représentation de la Shoah le cœur de son premier film. Avec une très grande précision, le réalisateur montre ses intentions dès les deux magnifiques premiers plans séquences : ne pas fictionnaliser les situations, éviter à tout prix l’exhibitionnisme et témoigner de l’horreur au plus près par la force de la mise en scène et le travail sur le son. Mais malheureusement ses intentions se perdent en cours de route et le film se fragilise en devenant instable dans ce qu’il montre. Saul Ausländer (Geza Röhrig) est membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé de travailler pour les nazis dans leur plan d’extermination. On assiste aux méthodes de dispersion des cendres, de nettoyage du crematorium, de classement des vêtements, des bagages. Alors que Saul s’attèle à la tâche il découvre le corps d’un enfant qu’il veut reconnaître comme étant son fils, qu’il le soit ou non. Il se jette alors à corps perdu dans la quête de trouver un rabbin pour enterrer la dépouille selon les rites d’usage en volant le cadavre. Si la rigueur de la mise en scène reste intacte avec ses plans séquences qui s’enchaînent au millimètre, l’histoire de Saul, cette recherche effrénée, prend le pas sur la représentation pourtant tenue à bonne distance de l’horreur.
Et Laszlo Nemes, sans doute contre-nature et à l’inverse de ses intentions initiales, rend presque épique le chemin de Saul. Il prend le mauvais virage dans le dernier segment du film pour finir sur une scène dont le symbolisme rend la démarche trop appuyée. Laszlo Nemes rentre dans la cinéphilie mondiale en s’affirmant comme un metteur en scène rigoureux, ambitieux, dont on n’attend avec impatience le second long métrage mais se perd dans son sujet comme d’autres metteurs en scène pourtant confirmés avant lui.
En sélection officielle dans la catégorie Un Certain Regard, le cinéma Islandais a donné de ses nouvelles. 23 ans qu’il n’avait pas foulé le tapis rouge de la croisette et les derniers signes de vitalité remontaient à la présence de Bjork dans Dancer in the dark de Lars Von Trier. C’est donc aussi avec beaucoup de curiosité que le film a été présenté. Et les nouvelles sont plutôt bonnes. Grimur Hakonarson nous livre donc Hrutar (Béliers), l’histoire de deux frères qui ne se parlent plus depuis 40 ans et qui élèvent fièrement des béliers au fin fonds d’une vallée isolée. Seulement voilà, la maladie frappe les troupeaux et toute la petite communauté islandaise va se retrouver démunie et sans ressource. Le réalisateur filme l’infiniment petit, les rapports arides et minimalistes au sein de la communauté, au sein de l’infiniment grand, cette terre d’Islande dangereuse et sublime. Hakonarson suit une veine naturaliste en fusionnant personnages, animaux et paysages dans un même trait photographique que seuls les toits rouges des fermes d’Islande réveillent d’une saillie. L’image est magnifique avec une profondeur de champs qui relève la beauté des paysages singuliers. On suit donc ces deux frères qui communiquent par chiens interposés et qui se mitraillent au canon scié quand les choses tournent mal. Il y a donc aussi beaucoup d’humour dans cette aridité polaire. Et c’est sans doute le seul effet de jointure avec le cinéma nordique contemporain. Et cet humour distancié se transforme petit à petit en une émotion persistante lorsque les deux frères vont faire cause commune pour sauver leurs bêtes. Le film se révèle alors très attachant, et sans parler réellement de fulgurance de mise en scène, il nous emmène jusqu’au magnifique plan final qui sanctuarise la mort et la renaissance de ces deux personnages. Le cinéma d’Islande existe donc bel et bien et c’est aussi le rôle de Cannes, derrière les grands auteurs de mettre le projecteur sur les cinématographies mondiales un peu oubliées.
The Lobster
Note:
Le fils de Saul
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Béliers
Note: