Vendredi 27 mai
L’énorme avantage d’un festival se déroulant à Barcelone, hormis le plaisir de ne pas avoir à dormir sous la tente pendant trois jours, c’est que le week-end est un vrai temps de vacances, partagé entre les concerts en soirée et la journée où l’on peut profiter de la ville et du soleil. C’est visiblement la philosophie de beaucoup de festivaliers si l’on en croit les nombreux bracelets croisés sur les ramblas et le port. Ils permettent aussi de mesurer l’énorme popularité du Primavera en termes d’affluence et d’impact sur le tourisme local. Plutôt que de nous restaurer sur le Parc del Forum, on préfère donc avaler une assiette de tapas en terrasse avant de nous diriger vers le festival. Même si les stands de nourriture y sont plutôt corrects et variés, avec des noms de sandwiches choisis parmi les groupes de la programmation, ils avoisinent cependant trop les toilettes mobiles dont on peut sentir les odeurs jusqu’à la grande scène par grands vents. Dommage, d’autant plus que les installations sur site rendent l’expérience agréable, l’idée étant d’envahir ce grand espace de béton et de métal par des structures végétales sur les lieux de circulation.
On arrive donc en début de soirée au Parc del Forum pour voir James Blake sur la scène Pitchfork. Mais en observant la masse de public se diriger vers la Llevant stage pour le concert de The National une demi-heure plus tard, on se décide à suivre le mouvement pour trouver une bonne place en se persuadant que le spleen intimiste et délicat du jeune crooner anglais n’est pas taillé pour la foule et le plein air. Le set de National sera plus qu’un lot de consolation. Les new yorkais qui ont triomphé avec leur cinquième album quelques mois plus tôt, « High Violet », disque de la consécration internationale, ont su préserver une attitude low profile, loin de la hype facile et fidèle à leur esthétique sombre et ténébreuse. Leurs nouveaux morceaux pourraient pourtant basculer dans la caricature romantique si l’on se réfère au tracklisting de l’album : « Terrible love », « Sorrow », « Afraid of anyone », « Anyone’s ghost » et aux lyrics poétiques et torturés de Matt Berninger. Mais non, de cette noirceur revendiquée surgit une beauté paradoxalement lumineuse, grâce à une production qui évite systématiquement l’emphase et le lyrisme et laisse entrer la lumière à la faveur de quelques perles pop. On se demandait comment « High Violet » allait passer l’épreuve de la scène, l’album bénéficiant d’une production subtile et ouvragée, on n’est cependant pas déçu par leur interprétation live. Si le son de scène ne rend pas justice aux constructions méticuleuses du groupe, rejoint par une section de cordes et Sufjan Stevens en guest sur deux morceaux, la voix de Matt Berninger soutient le tout avec une force fragile si l’on en croit l’état d’ébriété visiblement avancé du chanteur. A demi recroquevillé sur son pied de micro, un verre de vin à la main, il se lâche heureusement en fin de show sur un « Terrible love » apocalyptique en descendant au contact des premier rangs. On se dit à ce moment là que l’attitude anti charismatique affichée par le groupe jusqu’ici avait du mal à trouver sa phase avec une audience aussi massive de festival. Et que c’est dans ce pétage de plomb (un peu éthylique ?), cette sortie de route que The National justifie sa présence sur une grande scène de festival.
On file de l’autre côté du site pour assister de loin à la performance de Belle and Sebastian. Il est beaucoup plus difficile ici de s’approcher de la scène San Miguel tant la foule est compacte et déjà nombreuse, on trouve cependant un spot assez éloigné où la visibilité est réduite et le son médiocre. Dans de telles conditions, il faut prendre la décision de renoncer aux sets de Low et de Deerhunter, ajout tardif de la programmation, pour voir de près le come-back attendu de Pulp en tête d’affiche deux heures plus tard. En attendant, on jette un œil distrait sur le groupe de Stuart Murdoch, vu pour la dernière fois il y a plus de 10 ans quand le chanteur avait le charisme de celui qui attend son bus en fredonnant. Aujourd’hui, il assure davantage le spectacle, communique plus qu’autrefois avec le public, en allant à sa rencontre ou en le faisant monter su scène. Mais on ne peut pas s’empêcher de penser que le meilleur de Belle & Sebastian est loin derrière lui, que ses compositions désuètes, cette pop légère et précieuse n’ont pas su évoluer au fil des albums. Ce sont les vieux titres qui réveillent alors l’intérêt, « La pastie de la bourgeoisie », « Dear catastroph waistress » ou « The boy with the arab strap », comme témoignage d’un temps où cette musique réussissait à nous toucher et à nous émouvoir. Quand le groupe sort de scène, il est temps de profiter de ce moment pour nous rapprocher et tenir notre position pour LE concert le plus attendu du festival.
La tension qui précède le retour de Pulp est palpable : alors qu’on a réussi à trouver une place privilégiée parmi les premiers rangs dans le public, il va pourtant falloir batailler ferme pour défendre absurdement notre territoire. Il faut dire qu’à Primavera comme dans tout autre festival, plus la soirée avance, plus le public est alcoolisé et donc suffisamment désinhibé pour s’incruster devant vous sans aucun scrupule. On se ferait piétiner plusieurs fois, il faut jouer des épaules et des coudes pour être aux premières loges, contrariant l’ambiance qu’on souhaiterait davantage festive. C’est l’entrée du groupe sur scène qui fera fonction de catharsis et permettra d’évacuer le mauvais karma ambiant dans un pogo gigantesque où les pieds ne touchent plus terre, les gobelets de bière volent, les festivaliers s’époumonent. On a vu Jarvis et les siens l’avant veille au Bikini à Toulouse, dans un contexte beaucoup plus favorable – assistance réduite, son parfait, set de deux heures – pour un warm up qui avait rassuré sur les intentions du groupe. On craignait le revival pathétique et complaisant mais a contrario des Pixies, Pulp ne se reforme pas pour des raisons fiscales, mais bel et bien pour donner du plaisir à son public qui ne les a pas oubliés malgré la décennie nous séparant de leur split. Il fallait pourtant que le groupe confirme l’essai toulousain devant une audience massive, la plus forte affluence du week-end, et la pression médiatique. Sur scène, le décor en papier alu du Bikini est logiquement troqué contre un mur d’écran qui occupe tout le back line et un logo géant en néon, la grosse production est de sortie. À Toulouse, on a vécu un instant privilégié de happy fews, à Barcelone, Pulp est venu défendre le titre et on peut compter sur Jarvis Cocker pour assurer le show. « It’s not about ancient history, we are making history » affirme-t-il devant un public conquis. Sur «I spy », il capte au moyen d’une caméra stylo la demande en mariage d’un jeune couple au premier rang, moment d’intimité inédit dans ce contexte gigantesque. Mine de rien, à travers ce petit scénario malin, Pulp ne dit rien d’autre que sa connexion profonde avec son public, ces petites gens dont il parle dans ses chansons, dont il ne raconte rien d’autre que les histoires simples et quotidiennes pour en faire des petits courts-métrages drôles et universels sous la plume de Jarvis Cocker. « Common people » clôt le set principal dans l’euphorie générale et le groupe revient pour un dernier morceau, « Razzmattaz » qui est aussi le nom d’un club célèbre de la ville. On pourrait conclure la soirée avec « Battles » qui joue sur la scène voisine Ray Ban quelques minutes plus tard mais on se dit qu’on ne pourra pas atteindre un sommet tel que Pulp vient de nous faire vivre. Et demain est la plus grosse journée de concert, il faut aller se reposer…
Crédit photo : Tom Spray
Note: