Vendredi 1er juin 2012
Pour tenir l’endurance d’un festival de trois jours au programme bien chargé, rien de tel qu’une bonne nuit de sommeil (dans un vrai lit, pas dans un duvet sous une tente), une douche (pas celle collective d’un camping où il faut faire la queue avec sa serviette et son rouleau de papier hygiénique sous le bras) et un copieux brunch (café, jus de fruits, céréales, œufs brouillés, tartines, jambon, fromage) pour reconstituer ses forces. On arrive donc sur le site du festival en fin d’après-midi prêts à attaquer une journée de concerts bien remplie qui devrait se prolonger jusqu’au milieu de la nuit.
On rejoint la scène San Miguel pour assister au set d’Other Lives, LA découverte de l’an dernier, dont le premier album Tamer Animals a surpris son monde, dans une tendance du neo folk proche de Fleet Foxes. Ils sont cinq à monter sur scène, emmenés par Jesse Tabish, leur leader au look de hipster folkeux, cheveux longs et barbe hirsute. Tous sont multi instrumentistes, il faut bien cela pour réussir à retranscrire l’ampleur de la réalisation du disque, dont la production mélange un travail d’orfèvre dans les arrangements et les lignes mélodiques, avec une force et une intensité peu communes qui font penser à Calexico ou aux compositions d’Ennio Morricone pour les westerns spaghetti. Quand la violoncelliste se saisit d’un tambourin en forme de griffes et que le chanteur entame des pas d’une danse qu’on dirait indienne, habité comme un chaman, on a l’impression que cette musique-là a quelque chose d’incantatoire et pourrait être jouée au milieu du désert, autour d’un feu.
Direction la scène Pitchfork pour les concerts de Lower Dens et Dirty Beaches. Les premiers installent une rythmique quasi hypnotique fondée sur des lignes de basse rondes, un toucher de batterie lourd, des nappes de synthés aériennes et une réverbération sur la voix qui donnent l’impression que la musique nous provient d’une autre dimension, étouffée, filtrée par un prisme sourd et cotonneux. Le groupe prend des allures de geeks. La chanteuse Jana Hunter s’illustre par une absence de charisme, avec ses lunettes à grande monture et son look androgyne qui ne nuit cependant pas au sentiment immersif que procure la musique. Puis vient Alex Hungtai de Dirty Beaches, accompagné ce soir d’un deuxième guitariste pour mettre en scène son univers fantomatique et expérimental, reposant sur la perversion des vieux standards du rock des années 50 joués en boucle, mais soumis à des effets distordus de voix et de guitare qui pourraient sortir tout droit d’une saison cauchemardée de Twin Peaks.
Le vendredi soir est traditionnellement le moment où la plus grosse tête d’affiche du festival joue sur la grande scène. Après le retour de Pulp l’an dernier, c’est celui de The Cure ce soir qui entame une tournée des festivals pour revisiter les classiques issus de leur pléthorique discographie. La foule est déjà très dense devant la scène San Miguel, presque une heure avant le début programmé du concert. On n’y croise pas beaucoup de fans au look gothique. Quand le groupe monte sur scène avec Plainsong, on ne se doute pas encore que The Cure est là pour un set de trois heures, durée inhabituellement longue pour un festival même si le groupe a coutume de jouer des concerts aussi généreux. Et Robert Smith n’a pas choisi de donner une prestation de papys : les 36 titres joués font la part belle aux tubes incontournables comme In between days, Just like heaven et Friday I’m in love et réservent aussi de belles surprises aux fans hardcore : la première interprétation live de Just one kiss et un Fight que le groupe n’a pas joué depuis… 1987.
On file au pas de course à l’autre bout du site où M83 a déjà commencé à jouer sur la scène Mini. On rate l’Intro, qu’on aperçoit cependant de loin, sur le chemin. En live, le groupe est tel que sur son dernier opus, Hurry up wer’e dreaming : plutôt lourd, sur-produit, mais d’une redoutable efficacité. Le public réagit au quart de tour, la foule immense et compacte chavire de bonheur, aidée par un light show qui transforme la scène en un immense arbre de Noël clignotant. Anthony Gonzales est manifestement heureux d’un tel accueil, il ne cesse de hurler des Barcelona ! en dessinant des cœurs avec les mains, jure ses grands Dieux que c’est la plus belle soirée de sa vie. Les musiciens deviennent incontrôlables : le guitariste se jette au sol tandis que Morgan Kibby, au clavier n’en peut plus de courir dans tous les sens : c’est la fête à neu-neu !On ne serait pas plus étonnés que le groupe fasse la chenille ou tourner les serviettes, tant leur attitude est d’une finesse toute… pachydermique.
Sans aucun répit, nous retournons devant la scène San Miguel juste à temps pour le début de la prestation de The Rapture, qui démarre très fort avec In the grace of your love, l’un des tubes dansants de leur dernier album éponyme. Luke Jenner, chanteur et guitariste, donne l’impression de venir d’une autre planète avec son look post glam et sa voix nasillarde. Le groupe enchaîne les titres lumineux et aériens, entre pop, rock, funk et disco, transformant le Parc del Forum en un immense dance-floor irrésistible quand on quitte le site au son de How deep is your love pour éviter le flux de spectateurs à la sortie et attraper la navette qui nous ramène en centre ville. Il est tard, nous avons enchaîné cinq heures de concerts non-stop, sans aucune pause, et on s’aperçoit qu’au terme de cette deuxième journée de festival, nous avons acquis des compétences de super festivaliers : insensibles à la fatigue, résistants, endurants, nous sommes prêts pour la dernière journée où nous attendent encore de belles choses.
Note: