De mémoire, la Villette Sonique a toujours incarné quelque chose de plus qu’un incontournable annuel. Il faut dire que le festival, qui fêtait cette année son dixième anniversaire, a toujours été le lieu de convergence entre légendes de la musique « différente » – de indépendante à underground – et de promesses de demain. Les fameux shows gratuits qui se déroulent le week-end en journée remplissent en grande partie ce rôle de découverte ou plutôt, de mise en lumière de talents. En dix ans, la Villette Sonique peut quand-même se targuer d’avoir vu passer des artistes mythiques comme Faust, Devo, Mike Patton, Nurse With Wound, Throbbing Gristle, The Jesus Lizard, Godflesh, Swans ou encore Slowdive. De l’autre côté, la programmation sait cerner les tendances actuelles, comme le démontrent les présences passées de Deerhunter, Joanna Newsom, Animal Collective, Todd Terje, Caribou, Oneohtrix Point Never ou plus récemment Shamir. Cette année, le programme s’annonçait – comme toujours – dans la même veine, entre plaisirs inattendus et fébriles rencontres avec les mastodontes internationaux.
Ce samedi 28 mai, les grandes pluies torrentielles s’accompagnaient d’un lourd tonnerre à la fois grisant et menaçant, annonçant les prochaines complications qui allaient toucher la vie parisienne les jours suivants. Un cadre inhabituel – la Villette Sonique signifiant presque toujours le début de l’été -, mais ô combien essentiel pour offrir le cadre parfait à la folie d’un groupe comme Boredoms, bien que le show prendrait place en intérieur. Accompagné des talentueux Beak>, le projet de Geoff Barrows de Portishead qui peinent quand même à transcender en studio, et de l’inconnu mais culte Ata Kak, la soirée s’annonçait prometteuse. D’autant que le fait de combiner l’orientation World Music de Boredoms apparu la décennie présente, à l’Electro/Funk teintée d’Afro-beat et de Hip Hop de Ata Kak paraissait être la meilleure des idées.
Il faut savoir que la présence de ce dernier, Ghanéen et répondant au nom de Atta-Owusu était une véritable bénédiction tant son histoire est farfelue. Il ne doit son succès qu’au travail de recherche acharnée du label Awesome Tape From Africa (présent l’année dernière au festival) qui tente depuis près d’une décennie de faire découvrir des artistes cachés du continent à l’origine de nos civilisations. Auteur d’une unique cassette pas vraiment répandue au sein même de sa patrie, Ata Kak fut finalement retrouvé par le big-boss du label, Brian Shimkovitz, et lui offrit chance de la ressortir de manière remastérisée il y a un an de cela. Depuis, c’est comme une seconde carrière qui commence pour un Ata Kak vieilli, mais toujours plein d’énergie. Il le prouva ce samedi soir et rappela au public le titre d’un excellent film qui mit la carrière d’un certain John Travolta sur orbite tant il nous aura mis la fièvre, peut être pas pendant des heures, mais au moins le temps d’un set frais et en forme d’apothéose légère d’une nuit plutôt complexe et obscure.
Car avant cela, Beak>, placé dans la position délicate du groupe de milieu de soirée avait déçu. Peut-être aurait-il été judicieux de le mettre en ouverture de bal, car avant les délires dansants de Ata Kak et surtout après un set d’une beauté renversante et protéiforme de Boredoms, Beak> et sa musique un brin homogène, entre Krautrock minimaliste, Cold Wave inspirée par Joy Division et Electro glauque, dénotait franchement. Peu de passion dans le public qui peinait à s’extasier ni même à se mouvoir. On préférera nettement retrouver l’ami Barrows au sein des grands Portishead.
Vous l’aurez compris, le concert du soir, ce fut bien Boredoms. Le mastodonte japonais, vieux de trente ans sort aujourd’hui des disques et autres EP dans un certain anonymat, surtout comparé aux chocs des 90’s que furent la Noise Rock de Chocolate Synthesizer, le virage psychédélique de Super ae et le chef-d’oeuvre Vision Creation Newsun. Pourtant, les voir en live, fait assez rare, est un vrai événement. C’est là que leur musique faite de ruptures, d’expérimentations et improvisations prend tout son sens, un peu à la manière de Swans depuis leur retour. Toujours mené de main de maître par Yamatsuka Eye et ses cris stridents, le groupe a mis de côté les excès percussionnistes des dernières tournées (plus de neuf batteurs en même temps sur scène), pour épurer à la fois ses prestations et sa musique vers quelque chose de plus primitif et transcendantal. Difficile de reconnaître un titre en particulier tant le concert paraissait une œuvre à part entière. On passait d’un choc frénétique à la plénitude zen d’un claquement de cymbale avec une véritable virtuosité. Compliqué pour le public de savoir où se placer dans un tel show. Pourtant la meilleure façon d’apprécier la musique était certainement de se laisser aller, et de léviter !
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