On vous aura prévenus : Kill List, vendu comme le dernier phénomène du cinéma anglais, n’est pas un film aimable ou confortable, mais plutôt une expérience extrême et jusqu’au-boutiste, inattendue et imprévisible, dont l’effet qu’il procure sur le spectateur pourrait se comparer à celui d’un marteau qui vous exploserait successivement les rotules, les doigts et le sommet du crâne. Voilà. L’exemple n’est évidemment pas choisi au hasard : il correspond à une scène du film qui marquera durablement les esprits et qui équivaut en violence absolue à celle de Oldboy ou de Irréversible (sauf que chez Gaspar Noé, c’était un extincteur qui servait de boutoir). Évidemment, personne n’aime être maltraité d’une telle façon sans essayer de comprendre ce qui justifie un tel déferlement de violence. Interrogation légitime à laquelle Ben Wheatley, le réalisateur, refuse de donner une quelconque réponse. Kill List est donc à la fois physiquement éprouvant, mais aussi mentalement dérangeant car il situe sans cesse le spectateur dans une zone obscure où flotte une forme de mal absolu sans que jamais son origine ne puisse être clairement identifiée.
Vous voilà avertis : Kill List n’est ni un film social ou un drame psychologique à la Ken Loach, ni un polar hard boiled à la Tarantino, ni un film d’horreur à la Hammer. Ou plutôt : il est tout cela à la fois, il contient tous ces genres successivement, sans que ce tout ne ressemble à un assemblage hétéroclite ou à un opportuniste montage d’influences. Le film commence en effet sur le mode du conflit conjugal, sur fond de crise : scènes de ménage, factures en souffrance, le jacuzzi à payer, pas de salaire qui rentre… Shel incite Jay, son mari ancien militaire, à accepter un nouveau «contrat» avec son collègue, Gal. Tous deux forment une équipe dont la dernière mission, à Kiev, a visiblement mal tourné. Quel type de contrat acceptent-ils ? Que s’est-il passé en Ukraine ? On ne le sait pas. On entre dans la deuxième partie du film qui est celle du film noir : de mystérieux commanditaires ont ordonné le meurtre de trois noms sur une liste : un prêtre, un bibliothécaire et un préfet, chacune des exécutions faisant l’objet d’un chapitre annoncé par un panneau, comme dans Kill Bill.
Pourquoi les victimes figurent-elles sur cette liste ? Qu’ont-elles fait qui justifie leur sentence de mort ? On l’ignore, même si l’existence d’un réseau pédophile ou un trafic de snuff movies est suggéré sans être jamais formellement confirmé. C’est l’imagination du spectateur qui fait le travail, va puiser dans ses angoisses les plus profondes, pour figer dans les esprits les images les plus horribles que l’on puisse se figurer et installer un climat de terreur auquel il est impossible de se soustraire. Le dernier acte du film bascule alors dans l’horreur la plus totale, soudaine, où Ben Wheatley rend hommage à l’un des fleurons du cinéma d’épouvante britannique des années 70, le cultissime The Wicker man de Robin Hardy, à base de cérémonies païennes et de rites sacrificiels. Le choc est tel qu’il laisse le spectateur totalement interdit, ahuri, incapable d’analyser ou de mettre des mots sur le sommet d’horreur dont il vient d’être le témoin.
Au-delà du choc initial, considérable, qui pourrait faire pencher la balance du film vers un dithyrambe inconditionnel comme vers le rejet total, il faut considérer Kill List à tête reposée, ses premiers effets immédiats dissipés, pour tenter une analyse à froid. Et là une évidence s’impose : non, Ben Wheatley n’est pas juste un petit malin se reposant sur une conclusion-choc destinée à reconsidérer à la hausse tout ce qui précède dans le métrage. Non, le film ne postule pas au simple statut de hype éphémère bientôt expulsée par le prochain phénomène. Kill List repose au contraire sur un mécanisme parfaitement cohérent, qui soulève les questions, délivre ses indices et suggère les menaces pendant une bonne partie du film, installe un sentiment constant d’insécurité, d’altération de la réalité – on a l’impression de parfois entrer au milieu d’une scène tandis qu’une ellipse en escamote la conclusion -, un climat anxiogène qui ne nous quitte jamais jusqu’au final dénouant tous les fils d’une narration jusqu’ici suspendue comme un cauchemar. Malin mais pas roublard, à réserver dans tous les cas aux publics les plus endurcis.
Note:
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