Du sexe, des guns et des bikinis, Spring Breakers a un cahier des charges, s’y tient, mais certainement pas dans le sens littéral que nous vendait la promotion du film. Si l’imagerie clippesque à la MTV y est convoquée, elle trouve systématiquement son exact contrepoint dans un sentiment de malaise qui est celui de la gueule de bois sordide. Harmony Korine filme cette jeunesse euphorique en shootant ad nauseum des fesses et des seins, la bière qui coule, le crack et la coke qui circulent, dans un immense happening dopé au rap et aux beats technos. Dans ces instants-là, le réalisateur trouve un rythme hallucinant dans un montage ultra cut et des mouvements de caméra généreux, mais où les flash forwards et la manipulation numérique des images annoncent déjà le bad trip qui va suivre. Bien mal avisé donc, celui qui matera Spring Breakers pour y reluquer de jeunes éphèbes bronzés, le sentiment n’est pas à la franche excitation érotique mais plutôt à l’impression vomitive de fin de soirée. Benoît Debie, le chef opérateur régulier de Gaspar Noé, illustre cette grande messe teenage à grands coups de néons fluo quasi surréalistes et souvent cauchemardesques.
Dommage que dans sa deuxième partie, Spring Breakers ne maintienne pas la cadence pour se diriger vers la piste gangsta, avec l’apparition d’un James Franco à la fois méconnaissable et totalement halluciné dans le rôle d’Alien, jeune caïd en quête de territoire. La fête est finie, c’est le moment de la rupture de ton après que nos joyeuses fêtardes soient passées par la case prison. Si la caractérisation des personnages est quasi nulle (hormis la couleur du bikini), la jeune Faith, attirée par la religion et la prière, cristallise les limites de l’expérience et la question morale du film. Harmony Korine ne regarde pourtant jamais de haut ses protagonistes, ne les juge ni ne les méprise. Il redistribue également les cartes du pouvoir avec une scène de domination sexuelle étonnante qui tourne à l’avantage des filles. Pour le reste, cette seconde partie décline une logique de fuite en avant forcément fatale et plutôt invraisemblable où les « spring breakeuses » sont débarquées au fur et à mesure comme dans une émission de télé réalité, avec adieux à l’arrêt de bus avant retour au bercail.
D’un point de vue de l’iconographie, on pense à David Lynch, dans cette perception proche de l’hallucination et la proximité du cauchemar, mais aussi beaucoup à Scarface, Miami Vice et Dexter, la Floride possédant cette photogénie tellement caractéristique et ce pouvoir d’attraction à la fois pervers et morbide si particulier. Si le film ne réussit pas à maintenir sa cohérence jusqu’au bout, il faut admettre qu’Harmony Korine livre un gros morceau de cinéma très maîtrisé d’un point de vue formel et de la narration. De la première scène de braquage filmée en plan séquence, en passant par un karaoké mélancolique sur Everytime de Britney Spears, jusqu’au gunfight final, la mise en scène sait alterner comme il se doit les rythmes, les ambiances, les couleurs, pour aboutir à une forme de maelstrom sensoriel et mental qui souffle sans arrêt le chaud et le froid sur le spectateur. Cette vision noire et désenchantée produit un impact paradoxal : certains trouveront une telle entreprise vaine, vulgaire et désincarnée, d’autres y verront une expérience fascinante, immersive et envoûtante. Ni tiède, ni univoque, Spring Breakers nous pousse à pencher de ce deuxième côté de la balance.
Spring Breakers, disponible en dvd et blu-ray (TF1 Vidéo)
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