L’histoire commence en 1966. Brian Wilson, le cerveau du groupe est en haut des cimes. Le monde est à ses pieds et chaque transistor en Amérique est branché sur Good Vibrations. Son dernier album en date, le fameux Pet Sounds, a été un grand succès commercial et un raz-de-marée critique qui a poussé les Beatles à enregistrer Revolver et a quasiment lancé à lui tout seul ce que la Pop devient alors. Mais Brian Wilson n’est pas reposé pour autant, s’imaginant dans une compétition imaginaire entre lui et toute la scène pop pour sortir le chef d’œuvre absolu. Alors que la chanson Good Vibrations, qu’il a mis près de 6 mois à enregistrer, vient à peine de sortir, Brian décide dare-dare de repousser encore les limites de la pop pour enregistrer ce qu’il appelle « une symphonie enfantine pour Dieu ». Il est nécessaire de préciser que le chanteur est au bord de la crise de nerf et que sa consommation de drogues en tous genres devient alarmante.

Ayant recruté un parolier, le méconnu Van Dyke Parks, Brian commence le processus d’écriture, accouchant en quelques mois de chansons comme Surf’s up ou Heroes and Villains. Le rythme d’écriture fonctionne si bien que tout le monde, la joie au cœur, annonce à la maison de production et ainsi au monde entier que Brian Wilson, le génie derrière les Beach boys va enfin sortir son chef d’œuvre. Les pochettes sont imprimées alors qu’aucune chanson n’a été enregistrée ! Une émission spéciale, présentée par Leonard Bernstein sur la musique contemporaine, est dédiée à Brian Wilson qui joue en cette occasion une démo de la chanson Surf’s up. Jusqu’ici, tout va bien. Et en novembre 1966, soit au bout d’un mois d’écriture, la quasi-totalité des chansons est écrite et les Beach Boys entrent en studio. Mais voila, le groupe (à savoir les deux frères et le cousin de Brian) n’est pas particulièrement enthousiaste face à ce nouveau projet, le trouvant incohérent, surtout face à la domination totale qu’exerce Brian sur lui. Des disputes éclatent. Au cours de l’une d’elles, Van Dyke parks, l’un des piliers du projet, claque la porte pour ne plus revenir, laissant notre génie encore plus désemparé.

Mais à ce moment-là, les Beach boys sont en Studio en train d’enregistrer des morceaux chaque jour de plus en plus compliqués, savants, sublimes. Tout le monde est encore persuadé que Smile va sortir pour Noël et sera un immense succès. Seulement, après le départ de son ami et collaborateur, Brian commence à être dépassé par cet album, oubliant comment toutes ces dizaines de petites mélodies doivent s’emboîter pour donner la musique qu’il entend. Par exemple, la suite des éléments, à savoir un morceau évoquant tour à tour chacun des quatre éléments menace de le rendre totalement fou. Alors qu’il enregistre le titre consacré au feu, un studio à coté du sien s’enflamme et il n’en faut pas plus à cet esprit déjà sérieusement abîmé pour détruire le morceau et essayer de faire de même avec les autres éléments et, pourquoi pas, avec tout l’album. La chanson Heroes and Villains, le chef d’œuvre de l’album devient un monstre de plus de huit minutes, composé de dizaines de bribes musicales dont l’ordre est à ce jour perdu. Brian devient paranoïaque, il entend un jour dans sa voiture le nouveau single des Beatles (encore eux) Strawberry Fields Forever et se sent dépassé, fini, battu.

Au mois de janvier, Smile est définitivement abandonné, les Beach Boys aussi. Ceux-ci vont alors entrer dans une traversée du désert qui ne finira jamais, comme si un mauvais sort s’était abattu sur eux. Ils sortent en 1967 Smiley Smile, un faux smile fait à la maison par les frangins autour d’une pipe à hasch, qui est naturellement sublime. Ils enchaîneront avec Wild Honey, Friends, 20/20, Surf’s up et Sunflower, albums aujourd’hui oubliés, mais qui valent voire surpassent tous ceux qu’ils produisaient à leur zénith. Quant-à Brian, il va entamer une descente aux enfers à base d’héroïne, de cocaïne et de milk-shakes qui vont le tenir cloué au lit pendant une bonne quinzaine d’années. Ensuite il se retrouvera entre les pattes de psychiatres, d’avocats qui voudront le pousser à écrire, encore et encore ces tubes dont il avait le secret, avant de retrouver plus ou moins la raison. Il donnera même en 2004 sa version de Smile, enregistrée et complétée avec un nouveau groupe, version qui est sans doute assez proche de l’album d’origine.

The Smile Sessions est un coffret de huit CD, riche de plusieurs heures d’écoute où l’on entendra et comprendra ce que devait vraiment être cette symphonie enfantine à Dieu qui s’est transformée en guet-apens sordide. Des chansons intemporelles, des harmonies vocales d’une complexité et d’une beauté disparue. C’est aussi la redécouverte du Saint-Graal pour tous ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, aimaient un non-album d’un groupe ignoré. Un album dont chaque chanson se méritait, car il fallait auparavant la traquer sur des compilations, des coffrets, des sites Internet, sans jamais en voir le bout. Cet album est véritablement un album maudit. En écoutant ces morceaux souvent à moitié finis, s’en échappent comme des relents de malheur et de folie, qui sont sans doute le résultat de l’oubli. Smile est un album qui s’est construit pendant quarante ans, aidé de passionnés, de chercheurs qui passaient des heures entières à reconstituer ce puzzle, pour un jour en donner la version complète.

Et aujourd’hui, la voila. Maintenant, tout ce travail, toutes ces peines, et tout ce génie ne valent-ils pas une heure de votre temps ? Ecoutons Heroes and Villains ou Cabinesscence, ou encore Surf’s up, ce chef d’œuvre. On a rarement fait aussi bien. Il existe en deux versions. L’une en deux CD contenant l’album plus quelques bonus et la version longue de Heroes and Villains, l’autre en cinq CD plus deux vinyles, qui contient l’intégral des séances.

Note: ★★★★½

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