L’aurore se dilue en milliers de filaments lumineux. Le soleil nous éblouit de ses rayons doux et sauvages tandis que les fleurs se révèlent, dévoilant leurs feuillages. L’été ardent nous offre son exaltation, son effervescence, sa frénésie. Tout brille, tout s’illumine. Et l’étincelle scintille avec une fougue si pure qu’elle semble insaisissable. Si l’amour pouvait être deux miroirs qui se renvoient la même image à l’infini, il pourrait alors être préservé de ses reflets éphémères. Mais si les sentiments avaient des allures rationnelles, on les priverait impunément de toute leurs préciosités.
Summer s’impose au festival de Sundance où il remporte, avec la plus belle légitimité, le prix de la mise en scène. Second long-métrage de la réalisatrice Alanté Kavaïté (neuf ans après Ecoute le temps, avec Emilie Dequenne) il se distingue avec grâce par sa singularité, son intensité et sa maîtrise. L’intrigue est osée, centrée sur la relation homosexuelle de Sangaïlé et Austé, deux jeunes femmes flirtant avec la fin de l’adolescence à travers une innocence ingénue. Profondément novateur, c’est le premier film lesbien en Lituanie, pays où, il ne faut pas l’omettre, certaines mentalités sont encore très conservatrices et réactionnaires. Espérons que ce chef d’œuvre poétique sur l’éveil sentimental gay infuse un souffle nouveau dans les cœurs et les esprits de l’Europe de l’Est. Mi-juin 2015, le mariage homosexuel se légalise à l’ensemble des Etats-Unis, l’espoir est toujours là, frêle devant certaines agressivités ou incompréhensions, mais bien présent. Chaque pierre est importante dans la construction de l’édifice de l’égalité. Une égalité tendre et juste où seul l’amour demeure.
L’histoire s’ouvre sur un spectacle aérien, l’univers de l’aviation frôlant l’obsession en Lituanie, la réalisatrice s’inspire de sa propre passion de jeunesse, décidant d’introduire son héroïne au milieu de la campagne, axant ses yeux subjugués de fascination vers ces avions défiant la pesanteur. Ces engins de métal défilent dans une chorégraphie très disciplinée, fendant l’air, s’imposant comme fondateur de rêve, d’espace et de liberté. Ainsi la caméra s’emballe, empruntant parfois cette hauteur surplombante pour capturer des paysages, des émotions, des vertiges. Elle glisse tel l’air invisible, sans jamais être incommode ou intrusive. Et Kavaïté possède cette faculté incroyable de placer sa caméra à une distance idéale pour capturer la vie sans avoir l’air d’y toucher.
Lorsque Sangaïlé la sage rencontre Austé l’exubérante, une atmosphère particulière s’installe. Un charme lyrique teinté de poésie, de doute et d’envie. Elles incarnent la jeunesse nouvelle, celle qui se cherche sans jamais se juger. Celle qui s’éveille à défaut de se laisser étouffer par les préjugés. Elles sont si libres et si prisonnières à la fois. Enfermées dans un cercle familial, trop strict pour l’une, trop aimant pour l’autre. Elles veulent découvrir, deviner, s’exprimer comprendre. Elles n’ont que leur âge comme arme. Cette juvénilité qui met le monde à leurs pieds. Tout est possible, il suffit de le vouloir suffisamment fort. L’existence paraît alors si délicate lorsque nos bras étreignent ceux de l’être aimé. Leurs corps se caressent avec la même sensibilité qu’un pétale qui ondule au rythme du vent. Elles se rencontrent, s’observent, s’apprivoisent. Des rendez-vous à la cantine, des séances de photographie, des shows de voltige aérienne, des baignades au bord du lac, des soirées entre amis. Ce quotidien devient peu à peu, une vitalité, une brise, une inspiration. Leur amour est la félicité utopique de ceux qui s’étouffent de trop rêver. Il permet aux âmes de trouver un souffle qui ne s’évapore jamais, il apaise les plaies béantes qui menacent de nous subjuguer, qui s’infiltrent jusqu’à devenir indissociables de nos craintes, de nos inquiétudes. Il est le repos éphémère des égarés, celui qu’on revendique pour ne pas s’enliser. Il est le compromis de toutes les concessions. Il est cette allégresse, qui jamais ne cesse.
Si une déception acide se lit déjà sur les spectateurs désireux de voir La vie d’Adèle 2, la poésie narrative et le visuel déroutant de Summer éblouira ceux qui se laisseront bercer. Ce long métrage serait à l’image d’une veine qui se gonfle et se contracte. Une chair qui frémit, qui palpite. Le vertige des sentiments se mélangent au vertige des images et s’achève sans jugement, ni procès. Ce vertige est également l’élément qui paralyse Sangaïlé, véritable phobie qui l’empêche de décoller, de s’envoler. Ce vertige qui l’empêche de monter à bord d’un avion et de s’évader hors du monde. Alors elle se mutile, elle perce son épiderme à l’aide de diverses aiguilles pour ressentir la douleur, pour se punir ou tout simplement pour se sentir vivante, fiévreuse. Si la chaleur est souvent utilisée dans des tons rassurants, tandis que la neige renvoie habituellement à la froideur et à la glace, la réalisatrice brise les figures, car ici, sous le soleil de l’été, se déclineront de nombreuses émotions…
Summer – Sortie en salles le 29 juillet 2015
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