Nous avons depuis longtemps maintenant parcouru un certain nombre de salles de festivals et connu différents styles de musique plus ou moins efficaces. Malgré tout, il arrive encore que nous soyons surpris ou mis à l’épreuve. Ce qui nous est donné à voir avec The Soft Moon est quelque chose de singulier que vous ne verrez nulle part. Une expérience intransigeante, qui ne plaira pas à tout le monde, certes, mais qui a le mérite d’être fidèle à une certaine idée de la musique et de s’y tenir.
Bien des styles ont connu l’aseptisation. A travers la mode, les films et bien entendu la musique, petit-à-petit, tout ce qui est différent est accaparé par notre société comme pour le rendre convenable.
Quasiment seul sur le navire de The Soft Moon, Luis Vasquez vogue depuis maintenant cinq ans sur les eaux troubles de sa musique dont on ne se risquera pas à donner un style tant elle est particulière. Nous avions déjà croisé son chemin à l’occasion d’un passage à la Route du Rock en 2012, où il avait déjà fait un sans faute sur la Grande Scène. Le public découvrait alors une nouvelle vision de la musique, ou plutôt une vision délaissée depuis les milieux des années 80 et le déclin du post punk. Avec The Soft Moon nous sommes dans une version dépressive ultra noire, dans un ton qu’on ne pourrait imaginer plus sombre. Les fans de Bauhaus, Sister Of Mercy ou autre Cure, n’ont encore rien vu !
Sur la grande scène du Fort St Père, le rendu visuel était incroyable. Vasquez et ses comparses jouant sans spots frontaux, les longues lumières arrière permettaient d’entrevoir des silhouettes déambuler sur scène, sous les coups de buttoir d’une musique intransigeante. Un rendu jamais vu auparavant et suffisamment marquant pour hypnotiser un public qui cherchera à comprendre un moment, puis se rendra compte que le concert est terminé et que ce qu’il vient de voir était quelque chose d’unique.
C’est donc avec curiosité et envie qu’on attendait de voir le groupe sur une petite scène, comme celle que propose le Connexion à Toulouse. Ce soir-là The Soft Moon présentait son troisième album fraîchement sorti et plutôt bien nommé Deeper. On s’attendait à avoir de la place, mais visiblement les Toulousains s’étaient donné le mot et la salle est plutôt bien remplie. Sur scène se prépare déjà Luis Vasquez et ses deux compagnons du soir.
C’est alors que débute la cérémonie ! La lumière est toujours aussi rare, mais le rendu moins impressionnant que sur une grande scène. Sans doute conscient de cela, le groupe fera appel aux stroboscopes et à de grandes lumières latérales éclairant uniquement le public. Il valait mieux ne pas être épileptique pour assister au concert. Même si c’est difficile à assumer par moments et même si les grands flashes des lumières sont assez brusques, au bout du compte, ils remplissent plutôt bien leur rôle et donnent du corps à ce que produit The Soft Moon. Cette ambiance générale visuellement bien maîtrisé est le point de départ de la musique de Vasquez et ça colle parfaitement.
Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas. Très peu communicatif, pour ne pas dire pas du tout, Vasquez se lance dans ses petits cris – un coup stridents, un autre rageurs – pour accompagner une musique dépourvue de toute finesse. Petit-à-petit, on se rend compte que les connaisseurs sont présents dans la salle et très vite leur énergie se propage aux non initiés.
Le shoegazing de Soft Moon respecte la tradition, à savoir un bon gros mur de son à la limite de l’audible, mais qui reste cependant toujours au service d’une base mélodique souvent portée par une guitare assez lourde. Le dernier album ne déroge d’ailleurs pas à la règle et accentue même la chose, notamment avec Wrong. Ainsi, nous allons voir être déroulée une bonne partie de la discographie de Soft Moon sur un rythme effréné, Vasquez laissant très peu de temps entre les chansons.
Des chansons qui sont la plupart du temps assez courtes et qui, quoi qu’on en dise, restent assez différentes les unes des autres. Elles ne dépassent que rarement les quatre minutes. Les parties les plus impressionnantes du concert resteront les passages de percussions où Vasquez s’en donne à cœur joie. Par exemple, sur des titres comme It Ends, Machines ou la toute récente Deeper, il est littéralement emporté par la musique. On le voit avec ses baguettes, puis directement à mains nues se déchaîner sur les tambours, entraînant le public dans son sillon. Le rendu musical de ce mélange de grosse basse et guitare inquiétante avec des percussions rapides et martelantes est franchement bluffant. On en redemande et on en aura encore.
D’ailleurs des titres phares comme peuvent l’être Breathe The Fire ou Parallels, toutes deux issues du premier album éponyme, remplissent de façon on ne peut plus efficace leur rôle de fer de lance, tout comme Insides du deuxième album, Zeros qui viendra injecter un peu d’air dans tout-ça, grâce à une mélodie plus prononcée et plus claire.
Au bout d’une demi-heure de concert, assez bizarrement, Vasquez annonce la dernière chanson. Voilà encore une façon de se démarquer, en provoquant un rappel en début de concert. Une idée originale qui apporte cependant peu de chose. Quitte à se démarquer autant assumer pleinement la chose et ne pas faire de rappel. D’autant que celui-ci n’a pas duré bien longtemps. Mais il est vrai que cela souligne un peu l’hypocrisie qu’est devenue le rappel, dans la scène musicale.
Le concert reprend de plus belle et on sent monter au fur et à mesure la pression dans le public. Les chansons se font plus puissantes et plus connues. L’énergie sur scène reste incroyable. On apprécie alors les titres issus du dernier album, dont les singles Far, très rythmé et porté par un clip assez barré aussi et l’excellente Black, on ne peut plus angoissante. On regrettera quand même de ne pas avoir eu droit à la magnifique chanson When It’s Over, sans doute trop lente pour être jouée ce soir-là.
On a donc vécu un moment à part, l’espace d’un instant. Oui, car le concert dépassera à peine l’heure. Un peu court, c’est sur, mais l’expérience a quelque chose d’éprouvant qui ne demande justement pas forcément à être prolongé. The Soft Moon convainc ce soir-là une salle entièrement dévouée à sa cause et quasiment pleine, preuve qu’il a su trouver son public et que celui-ci augmente encore et toujours malgré un style franchement exigeant.
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