Si l’on ne peut qu’admettre l’insolente santé du cinéma sud coréen, il faut cependant nuancer le propos et éviter le dithyrambe et l’unanimisme systématiques dès lors qu’il s’agit de consacrer les nouveaux petits maîtres locaux. La différence entre le génie et la roublardise est infime, il suffirait visiblement d’une certaine inventivité formelle, d’une élégance dans la mise en scène (à la limite de l’esbroufe visuelle) et d’un sujet choc traité sans aucune forme de complexe pour hériter du titre de nouvelle révélation du cinéma coréen. Titre promptement décerné par l’essentiel d’une critique mise à l’état de K.O. technique par une production qui a une forte tendance au coup de poing filmique. Cet état de choc ne peut cependant pas justifier d’être à ce point dupe d’un certain cinéma roublard justifiant ses excès de violence gratuite par une critique sociale de bon aloi. Jusqu’à présent, on n’avait pas classé Kim Jee-Woon dans la catégorie des imposteurs et des petits malins, le réalisateur de « Two sisters » et « A bittersweet life » a toujours manifesté beaucoup de talent à se glisser dans les genres les plus divers, de l’horreur au polar en passant par le western référentiel. Il méritait bien sa place auprès de Park Chan Wook, Bang Joon- Ho, Kim Ki Duk ou Hong Sang-Soo au rang des cinéastes les plus talentueux et influents du cinéma sud coréen (dans des styles et des formes très différentes). Jusqu’à ce « J’ai rencontré le diable » problématique, d’une complaisance crasse dans la représentation graphique de la violence, d’une psychologie schématique et d’une morale grossière.
Tout a déjà été énoncé sur le thème de la vengeance dans la trilogie éponyme de Park Chan Wook, du point de vue psychologique, sociologique, genré, le réalisateur a largement fait le tour du sujet. On imagine bien le projet de Kim Jee-Woon quand il décide à son tour de s’atteler à ce thème : supplanter l’auteur de « Oldboy » dans toutes les largeurs, enfoncer le clou de la violence sadique, schématiser les deux antagonistes en deux blocs caricaturaux à l’extrême. Ainsi, le tueur est de la pire espèce, violant, torturant, décapitant et démembrant ses victimes, il est figuré comme une masse abjecte et cynique. Le vengeur rendu fou de chagrin par le meurtre de sa petite amie est quant à lui d’une froideur clinique et sans états d’âme dans son programme de représailles qui ressemble à un jeu du chat et de la souris. Sauf qu’une telle caractérisation interdit toute nuance psychologique ou dans le propos et surtout, ne permet qu’une version programmatique du scénario qui nous rappelle aussi pourquoi nous avions à ce point détesté « The chaser » en son temps : ce sont deux films qui ne laissent aucune chance aux victimes, qui finissent toujours par les sacrifier sur l’autel de la surenchère gore gratuite. Dans «The chaser », Hong-jin Na construisait un suspens artificiel autour du sauvetage d’une jeune femme prisonnière d’un serial killer où tout était systématiquement mis en échec pour permettre in fine la mort de celle-ci. Ici, c’était la corruption de la police coréenne qui justifiait ce scénario inéluctable. « J’ai rencontré le diable » fonctionne sur ce même principe où rien ne vient contrarier le programme pré établi de violence inéluctable. En mettant dos à dos la proie et le chasseur, puis en inversant les rôles, le film ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes pour signifier que la vengeance ne résout rien, qu’elle ne fait que retarder la souffrance du deuil.
Franchement nauséabond sur le fond, « J’ai rencontré le diable » ne vaut guère mieux dans la formalisation de son propos. Les deux acteurs principaux sont réduits à l’état de pantins caricaturaux. Choi Min-sik, pourtant très bon par ailleurs ne peut incarner son personnage que dans la surenchère bouffonne, tout juste traversé de quelques éclairs de colère noire qui le situent finalement très loin du diable pourtant annoncé. Lee Byung-Hun est désespérément lisse, engoncé dans sa doudoune en toutes circonstances, la mèche lisse et le visage inexpressif de celui qui mène sa mission dénué de tout sentiment. Il parvient tout juste à susciter un sourire gêné quand il craque en fin de course dans une parodie de pétage de plomb lacrymal grotesque et attendu. Mais le pire dans « J’ai rencontré le diable » est sa durée, inexplicablement longue, en tout cas jamais justifiée par une constructions narrative systématique. Le jeu de chat et la souris auquel se livrent les protagonistes induit un rythme basé sur la répétition – je t’attrape, je te fais mal, je te relâche – qui n’est contredit en dernier lieu que par une tentative de relecture de « Seven » qui n’atteint cependant jamais les sommets nihilistes du chef d’oeuvre de David Fincher. Finalement, le film n’est jamais aussi juste que dans sa parabole laxative, une diarrhée dont on a du mal à sauver quoi que ce soit.
Note: