A la fin de Super 8, lors de la grande scène de réconciliation pères/enfants, on ne peut pas s’empêcher de penser : tout ça pour ça ! Non pas qu’il nous eût échappé que tout le film reposait sur les bases familières du divertissement familial, mais cette conclusion nous semble trop convenue pour n’y contenir que le sens littéral d’un rapprochement attendu des adultes avec leur progéniture. On a davantage envie d’y lire le symbole d’une forme de reconnaissance d’un jeune apprenti par son pair, d’un passage de relai symbolique entre un modèle cinématographique convoité (Steven Spielberg) et sa descendance (J.J. Abrams) auto-proclamée. En effet, n’importe quel spectateur a minima attentif aura remarqué que Super 8 convoque toutes les références au cinéma teenage des années 80 incarné par la société de production de Steven Spielberg, Amblin Entertainment et des films tels que les Goonies, Explorers, Gremlins ou Retour vers le Futur, afin d’en réactualiser les codes narratifs, les gimmicks visuels et thématiques. Si la démarche ne manque pas de cœur et de sincérité, elle est malheureusement dénuée d’âme car il ne suffit pas de vouloir mettre à jour les conventions inhérentes au genre pour réveiller la nostalgie qui y est associée. Pour son premier projet original qui n’est ni une suite (Mission :Impossible 3), ni le reboot d’une série de science-fiction (Star Trek), J.J. Abrams, prodige des concepts télés (Alias, Lost, Fringe) et du buzz cinématographique (Cloverfield, qu’il n’a pas réalisé, rappelons-le), choisit donc la voie de l’hommage vintage, de l’exercice de style old school pour faire revivre l’atmosphère de ces films qui ont pour cadre le monde de l’enfance et sa confrontation à une aventure extraordinaire comme rite de passage à l’âge adulte.
Super 8 est donc construit selon un schéma qui obéit à des motifs récurrents : la petite ville pavillonnaire comme contexte géographique, la collectivité d’amis où chacun est immédiatement caractérisable (le gros, le peureux qui vomit à chaque occasion, l’amateur d’explosifs…), les sorties nocturnes clandestines, les premiers émois amoureux, l’amitié mise à l’épreuve, l’incommunicabilité avec les parents, l’événement extérieur comme accélérateur de l’apprentissage de la vie. Abrams est très à l’aise avec ce cahier des charges, sans aucune ironie envers son sujet qu’il traite sans sourire en coin. Super 8 s’inscrit même naturellement et logiquement au sein d’une filmographie où il a toujours cherché à concilier des formes modernes d’expression avec des sources d’inspiration classiques (le film de monstre next gen version Cloverfield, les sujets mythologiques de la science fiction revus à la sauce Fringe) et propulsé des communautés disparates face à des aventures big than life (les naufragés de Lost, l’équipage de Star Trek…). Il réussit ponctuellement à dépasser son statut de faiseur à la faveur de deux magnifiques séquences, l’une spectaculaire,celle du déraillement du train qui est superbement découpée et l’autre intimiste, la scène de maquillage d’Elle Fanning en zombie qui dit avec justesse tous les tourments de l’adolescence.
Cependant, si la démarche parlera sans doute à ceux qui n’ont pas connu l’époque bénie à laquelle se réfère le film, les autres, ceux qui ont grandi avec les modèles cinématographiques cités par Abrams risqueront de trouver la démarche un peu vaine et le film pétri de contradictions. Le réalisateur n’évite jamais de témoigner son sentiment d’allégeance à Spielberg en citant explicitement E.T (les scènes nocturnes de banlieues, la figure de l’ado à vélo, l’invasion militaire de la petite ville), Rencontre du Troisième Type (le véhicule de réparation électrique qui rencontre l’alien) et Jurassic Park (la scène de l’autobus découpée à l’identique) alors qu’il vise lui-même le statut de nouveau wonder boy du cinéma américain. Il retarde sans cesse l’apparition de l’alien dans une posture systématique mais ne peut pas passer outre la représentation du monstre à l’écran dans son dernier acte, dans une version déjà vue cent fois ailleurs (pitié, quand les sound designers renouvelleront-ils leur base de données de sonorités extra-terrestres car le bruit mandibulatoire façon Predator, on en a assez goûté!) . Il parle de la réaction face à la mort mais ne fait pas le deuil de ses influences. Il verse dans une nostalgie du cinéma home made mais la révélation du monstre sur la bobine super 8 n’est le moteur d’aucun ressort dramatique, juste une façon de la différer artificiellement. Il sur-signifie l’hypothèse du conflit familial entre le veuf et le père alcoolique mais en expédie sa résolution dans une scène il est vrai peu aidée par un casting de seconds couteaux de séries télés américaines. Super 8 voudrait être et avoir été, se rêve rétro mais obéit à une économie de moyens qui n’est pas celle d’il y a vingt ans, fait du low budget un modèle de passion sincère mais concoure au titre de blockbuster estival. En conflit permanent avec lui même, Super 8 devient au final un produit bâtard et anachronique.
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