Au sein d’un été 2013 dominé par les franchises, séquelles et autres productions Marvel, certains ont annoncé la fin des blockbusters estivaux en prenant l’exemple de Pacific Rim sur le simple constat de son échec au box-office américain. En France, il n’aura guère fait mieux puisqu’il dépassera tout juste le million d’entrées, ce qui est peu et surtout très décevant. Drôle de paradoxe s’agissant d’un des rares films cette année – avec Lone Ranger – qui soit une production 100 % originale que l’on peut classer de surcroît dans la catégorie des films dits d’auteur, chose a priori inconcevable pour une œuvre budgétée à 200 millions de dollars ! Pas étonnant dans ce contexte inflationniste que Warner Bros ait autant communiqué en amont pour attirer les spectateurs. «Un film conçu pour les geeks, qui va vous faire retrouver l’âme d’un gamin de 12 ans », tel était en substance le discours du studio. Il fallait bien ça pour faire rentrer les dollars et éviter à tout prix l’amalgame entre le film de Guillermo del Toro et Transformers ou Godzilla dans les cerveaux alimentés à la bouillie hollywoodienne de grande consommation. Ce souci de positionnement stratégique est bien compréhensible : Pacific Rim ne sort pas d’un moule de production courante et standardisée. C’est une œuvre qui va puiser son inspiration dans la cinématographie d’autres territoires en lançant un pont entre l’Amérique et le Japon, et dont l’apparente simplification des enjeux – en résumé, l’affrontement de robot contre des monstres géants – permet en réalité une immense générosité du propos.

Pacific Rim n’est en effet pas exempt de défauts, qui seront sans doute rédhibitoires pour qui résistera à l’immense pouvoir de sidération que procure le film. La caractérisation des personnages et les enjeux dramatiques peuvent paraître sommaires, les traumas des principaux protagonistes cousus de fil blanc, le duo de scientifiques geeks excessif et caricatural dans un film qui est principalement destiné à ce public-là, les postures guerrières grossières, la musique à base de riffs de guitares pour metalleux manquant de finesse, la direction d’acteurs globalement défaillante, les punchlines navrantes… Il y a là suffisamment de matière pour n’importe quel esprit un tant soit peu exigeant à rejeter un spectacle dénué de complexité a priori. Cependant, toutes ces critiques que l’on peut admettre sans difficulté sont instantanément invalidées par la générosité du spectacle. Certes, Pacific Rim aurait pu être autre chose, plus proche de la pensée japonaise, inspiré de Patlabor ou Evangelion,avec une réflexion davantage philosophique et introspective sur les machines, l’âme des robots etc. Guillermo del Toro ne singe pas davantage Christopher Nolan et le blockbuster dit adulte et sa noirceur de circonstance, et c’est tant mieux ! Non, l’intention est ici ailleurs, puisqu’il s’agit bel et bien, littéralement, par un jeu sur les valeurs d’échelles qui confine au gigantesque, de regarder vers le haut, comme un gamin de 12 ans, les yeux ébahis, la mâchoire grande ouverte, devant la démesure des moyens déployés.

Guillermo del Toro enchaîne sans coup férir les morceaux de bravoure selon une structure narrative qui ne laisse aucun répit au spectateur. Qui a dit que la première heure était trop longue à force de poser les enjeux quand elle enchaîne le combat contre Knifehead – qui voit la mort du frère de Raleigh – , le flashback à Tokyo tétanisant de puissance et un duel au Ju Jitsu, entre autres… Tout cela en multipliant les sous intrigues et les personnages secondaires sans jamais que l’équilibre et le rythme ne s’effondrent à aucun moment. Le climax est atteint avec le formidable affrontement dans les rues de Hong Kong, absolument titanesque et qu’il sera difficile de surpasser en termes de durée, d’effets spéciaux, d’utilisation de l’espace… On regrette seulement que cette séquence ne conclut pas le film car effectivement, le dernier acte est en dessous d’un tel morceau d’anthologie. Guillermo del Toro n’hésite jamais à figer ses personnages dans des poses iconiques mais comment ne pas avoir la larme à l’oeil à la vue de ce plan sidérant de beauté d’Idris Elba sortant de son Jaeger après avoir terrassé le kaïju à Tokyo, comment ne pas avoir la chair de poule à son discours précédent l’assaut final – « today, we’re cancelling the apocalypse ! » – comment ne pas ressentir l’effroi de la jeune Moka poursuivie par le monstre lors d’une « dérive » rétrospective. Toute la force du film est là, convoquer la forme du kaïju eiga, des films de mechas, du film de guerre – Pacific Rim ne s’inscrit pas dans une esthétique de l’high tech mais plutôt dans celle de la rouille des films de résistance -, du western, tout en procurant une émotion immédiate et spontanée. Son échec – relatif – au box-office ne rend pas optimiste sur l’avenir des blockbusters d’auteur, dont on redoute la nolanisation du modèle et la contrôle des executives hollywoodiens sur le final cut. Autrement dit, l’avènement du billet vert sur l’esprit et l’intelligence.

Note: ★★★★½

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