The Good Earth est le deuxième album des Feelies. Lorsqu’il sort début 86, la formation de Haledon (près de Hoboken ( New Jersey) dont sont issus les autres mini-phénomènes locaux, The Bongos ou Yo la Tengo) jouit déjà d’un statut de groupe culte grâce à l’incroyableCrazy Rythms, paru 6 ans plus tôt.
Ce premier album énigmatique et magistral a eu le temps de susciter bien des vocations, en tout cas des admirations, dont celle de Peter Buck de REM qui se colle à la co-production de ce deuxième Feelies, presque aussi fameux que son aîné.
En six ans, le groupe n’a donné que trop peu de concerts (surtout au bar restaurant du Maxwell’s, à Hoboken), connu de gros problèmes de distribution/management, travaillé sur quelques musiques de films… Et surtout attendu une véritable occasion de pouvoir enregistrer une suite à leur premier chef-d’œuvre. Peter Buck admettra en 95 considérer ces séances de studio parmi les moments les plus étranges de sa carrière. Du fait, bien sûr, de Glenn Mercer et Bill Million (co-fondateurs et songwriters) dont l’incommunicabilité chronique aurait poussé dix fois le commun des mortels à lâcher l’affaire. Le genre de types semi-mutiques dont chaque lever de sourcil pourrait donner lieu à une vingtaine d’hypothèses contradictoires concernant leur degré de satisfaction.
Peter Buck se fera donc discret, les Feelies ayant conservé les idées claires et passé l’essentiel des années précédentes à répéter leurs boucles de guitares obsessionnelles. Ils apparaissent malgré tout dans Something Wild de Jonathan Demme,en 85, un autre fan de la première heure qui les laisse mettre l’ambiance dans une scène mémorable de fun party.
De fait, même si The Good Earth conserve de son prédécesseur une construction en couches, son côté répétitif, cette tension sauvage et rentrée, un goût pour les accélérations soudaines et les faux-plats, le résultat est radicalement différent. Privilégiant les guitares acoustiques, c’est un disque plus apaisé en surface, proposant leur vision d’un folk rock pastoral toutefois légèrement contrarié. Un peu comme si le Velvet Underground jouait au bord d’un petit ruisseau de campagne au milieu de l’après-midi en décidant que le chant des oiseaux, les cris d’enfants et le bruissement des arbres s’intégreront naturellement à la musique.
Pour l’histoire, Anton Fier, le batteur fêlé de Crazy Rythms n’est plus de la partie et Brenda Sauter remplace à la basse Keith Clayton, également percussionniste sur le premier album.
Tous ceux qui aiment les Feelies en parlent comme d’un groupe à guitares, évidemment pas n’importe lequel… Les guitares chez les Feelies sont uniques, racées, subtiles. Elles construisent des entrelacs complexes, tricotent des textures éthérées, tournent en boucle deux ou trois accords à l’infini. Les voix sont murmurées, la section rythmique posée sur coussin d’air impulse en arrière-plan. Il faut vraiment se concentrer pour entendre une basse, mais on comprend vite le sens de ce parti-pris esthétique une fois que l’homogénéité de l’ensemble se dévoile.
On peut simultanément sentir dans leurs chansons l’influence du folk, de Eno, celle du groupe Kraut allemand Neu! ou encore le phrasé typique de Lou Reed. Ce dosage sensible est pour une grande part de la singularité de l’album, entre ciel et terre sur On The Roof qui ouvre l’album, un bijou boisé et aérien qui vous transporte par tous les états en moins de trois minutes. Les habitées The High Road, Slow Down ou la chanson titre restent des perles sans âge, près de trente ans plus tard. The Good Earth est peut-être l’album de rock américain des 80’s que n’a pas su enregistrer REM pour son propre compte. Injustement méconnu, il possède le charme discret et les vibrations mystérieuses d’un grand disque, aussi attachant que l’indispensable Crazy Rythms. Petit plus non négligeable : c’est un album d’été, parfait pour le matin ou les débuts de soirée !
Petit avertissement audiophilique : la réédition remasterisée de 2009, en forçant sur les basses, ne rend pas tout à fait à justice à la beauté spéciale de l’album. L’ancienne est meilleure, surtout le vinyle original. Le Crazy Rythms de 2009 sonne, a contrario, parfaitement.
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