Depuis deux ans, dans le département du Gard, un petit festival a commencé à faire son petit bonhomme de chemin . Situé sur le site de Paloma à Nîmes, This is not a love song est programmé idéalement le même week-end que le prestigieux Primavera, lui permettant stratégiquement d’en détourner une partie du line-up et pas que les middle names ou les bas du tableau, non ! Pour sa troisième édition, le petit gaulois a en effet annoncé Interpol, Caribou qui figurent parmi les headliners de moult rassemblements estivaux, complétant une affiche sans aucune faute de goût, un vrai bonheur pour tout amateur exigeant de rock indé. Jugez-en plutôt : The Divine Comedy, Swans, Ought, Viet Cong, Thurston Moore, Sun Kil Moon, Giant Sand, Thee oh sees… tout cela dans un environnement à taille humaine et un esprit familial et do it yourself qui forcent la sympathie.
C’est d’ailleurs ce qui séduit instantanément lorsqu’on arrive sur le site de Paloma, sa dimension humaine où les installations permettent de profiter de la bonne musique mais aussi de chiller en toute quiétude entre deux concerts, de participer à des ateliers de confection de couronnes de fleurs ou d’initiation au hula hoop, de casser une croûte à l’un des excellents food trucks ou de s’essayer sans complexes au karaoke sur l’une des petites scènes annexes. Les scénographies lumineuses, l’accueil et la sympathie des bénévoles favorisent cette ambiance chaleureuse. Un autre des avantages de This is not a love song, c’est la possibilité de voir des concerts en salles, ce qui est un grand luxe considérant la qualité acoustique des deux scènes intérieures, et l’opportunité de profiter des sets confortablement installés dans un des fauteuils du balcon de la plus grande, quand les jambes se font lourdes ou que la fatigue commence à nous gagner.
Nous avons déjà parlé dans ces colonnes des concerts toulousains de Viet Cong (complet dans le Club du Paloma, de nombreux malheureux sont restés aux portes de la salle pleine à craquer), Ought et Soft Moon (qui donnera l’un des meilleurs concerts du festival, impressionnant et épileptique), également programmés ici. Commençons donc le tour d’horizon de ce week-end par les têtes d’affiche, avec d’abord Caribou qui a livré le vendredi soir un set d’une grande efficacité à défaut d’émotions. Daniel Victor Snaith, accompagné d’un vrai groupe tout de blanc vêtu, est soutenu par un light show en adéquation avec le psychédélisme des morceaux. Il assure les parties vocales et joue de la batterie en duo avec un autre batteur pour développer jusqu’à plus soif les structures mélodiques des titres contenus dans ses quatre opus, dont les tubes Our love, Can’t do without you ou Odessa. La formule permet de prolonger le plaisir mais elle devient sur la durée d’un systématisme sans surprise. Le public, lui, est extrêmement réceptif, qui transforme le site en un immense dance floor et parvient à faire revenir le groupe pour un rappel imprévu qui clôt le concert d’une belle manière festive.
Le lendemain, c’est Divine Comedy qui joue en tête d’affiche sur la grande scène. Que dire si c’est un plaisir toujours renouvelé que de voir Neil Hannon en concert, lui qui entretient avec le public français une relation privilégiée depuis ses débuts en 1993, lorsque Liberation nous a permis de découvrir la pop symphonique et raffinée de l’Irlandais. Si Divine Comedy n’a pas sorti de nouvel album depuis Bang goes the knighthood en 2010, cela n’empêche pas le groupe de se produire régulièrement lors d’occasions événementielles comme ce concert aux Nuits de Fourvières l’an passé avec Burt Bacharach en guest de luxe ou un concert dans la prestigieuse Philharmonie de Paris en février dernier. Ce soir, Neil Hannon arrive plutôt les mains dans les poches avec ses nouveaux musiciens et pêche par excès de décontraction. Si le bonhomme est un personnage qui force la sympathie, il faut avouer qu’il a aussi une certaine tendance à la roublardise, qui font oublier quelques erreurs ou faiblesses ça et là dans le set : When the light goes out all over Europe sans la voix de Jean Seberg, National Express qui peine à décoller, Tonight we fly balancé à la hâte alors que le groupe se fait expulser de scène… On reste un peu sur notre faim d’autant plus que parmi les oldies attendues (Your daddy’s car, Songs of love, Becoming more like Alfie…), Neil Hannon réserve toujours beaucoup de place à ses dernières compositions (Assume the perpendicular, A lady of a certain age…), moins inspirées il faut dire.
Le dimanche, c’est Interpol, qui clôturera les festivités. Le groupe de Paul Banks a cessé de surprendre depuis longtemps, chaque nouvel album étant en soi un prétexte à produire quelques tubes leur permettant d’alimenter les set lists des longues tournées qui suivent. El Pintor, leur petit dernier n’échappe pas à la règle et alterne le meilleur (All the rage back home, Anywhere, My desire) avec le très dispensable. En fait, la dernière fois qu’Interpol a pris des risques, c’est avec leur disque éponyme en 2010 dont la seconde partie sortait des sentiers rebattus par le groupe grâce à des titres audacieux mais dont aucun (hormis le superbe Lights) ne furent joués sur scène. Heureusement, Interpol a beaucoup d’autres arguments pour convaincre, d’autant plus que ce soir, ils font la part belle aux titres de leur premier album, Turn on the bright lights (Say hello to the angels, The new, Untitled, Stella…), essai inaugural et meilleur disque du groupe à ce jour.
Hormis ces headliners qui ont su remplir leur rôle, quels sont les groupes qui ont crée la surprise pendant ce week-end ? Toute l’équipe de Versatile Mag présente au festival attendait le vendredi dans la grande salle le set du jeune prodige Shamir, dont le premier LP, Ratchet était sorti quelques jours plus tôt chez XL Recordings. Mélange hétéroclite d’electro et de techno, de R’n’B et de disco, de funk, de pop et de blues, propulsé par le single imparable On the regular, l’album est tout de même assez disparate et ne tient pas toujours les promesses de ce tube instantané. Sur scène en revanche, la musique de ce jeune androgyne de 20 ans prend toute sa dimension, porté par une voix dont la fréquence dans les aigües convoque l’esprit de Prince. Porté par un groupe solide et bienveillant, Shamir donne a priori l’impression de jouer les divas dans une attitude blasée, les yeux levées au ciel mais se lâche très vite pour se révéler être un véritable performer, drôle et spontanément attachant. Il finira d’ailleurs au milieu du public pour distribuer des free hugs avant de conclure a capella par le magnifique Darker.
Plus tard dans la soirée, Thee oh sees ne démentira pas sa réputation de meilleur groupe live en activité. John Dwyer, accompagné de deux batteurs, a fait soufflé un vent de punk rock jubilatoire dans la grande salle de Paloma, déclenchant un pogo géant qui ne cessera qu’au terme des 75 minutes d’un set absolument dantesque. Le leader du groupe sera même obligé de calmer le jeu lorsqu’un fan surexcité refusera de quitter la scène malgré l’intervention musclée du service d’ordre. « Be gentle.. Be french », recommandera ironiquement John Dwyer à la sécurité, dépassée par de tels mouvements d’enthousiasme quelque peu alcoolisés (fin de soirée oblige). Le lendemain, Mark Kozelek jettera une toute autre ambiance dans cette même salle avec le concert le plus intense et bouleversant du week-end. La folk sombre (le concert sera joué dans une obscurité quasi totale) et intimiste de Sun Kil Moon nous plonge dans l’histoire personnelle et familiale de l’ex Red House Painters, sous fond d’Americana où il est souvent question de la mort de proches du chanteur. Si bien que le concert est un grand moment d’une intensité et d’une force d’émotion rares.
Passons sur les quelques déceptions du festival (le set foutraque de Ariel Pink, avoir raté Swans, Thurston Moore, Dan Deacon, Bagarre…) pour terminer ce tour d’horizon non exhaustif avec l’une des révélations live du week-end, les metzins de Grand Blanc. Le jeune groupe auteur d’un premier EP prometteur, au croisement de la dark wave des années 80, du rock et de l’electro pop, de Bashung et Joy Division, a déjà fait la démonstration sur scène de beaucoup d’assurance et de prestance qui augurent d’un énorme potentiel pour l’album à venir. Non vraiment, pour un festival si jeune, This is not a love song a déjà tout d’un grand, on espère simplement qu’il saura maîtriser son développement les années qui viennent sans se départir de ses bonnes intentions initiales.
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