Cet été, le Japon est à l’honneur avec la sortie des deux versions restaurées des films de Mikio Naruse, Nuages épars et Au gré du courant. Le spectateur pourra de nouveau se faire bercer, dans les salles obscures, par la douceur et la fraîcheur de ces deux films qui n’ont, en cinquante ans pour l’un et soixante-et-un ans pour l’autre, absolument pas vieilli, si ce n’est les acteurs qui eux, ont pris de l’âge.
Mikio Naruse a cette facilité de traiter la vie simplement, et la vie, elle, ne change pas. Elle est rythmée par le bonheur, la joie, la tristesse, la mort, autant de sujets que Naruse parvient à graver sur l’écran blanc du cinéma.
Dans Nuages épars, la mort est centrale, elle brise et ranime les êtres. La vie renaît de la mort d’après Naruse, les relations se ramifient autour de cet évènement tragique. Comme l’effet papillon, la mort, même si elle représente la fin, a des conséquences sur le reste du monde. Le décès d’Hiroshi a des conséquences sur ses proches. Par la suite, les liens se font et se défont. Les nuages se meuvent, ils se rapprochent, s’entrelacent, pour enfin s’éparpiller.
Le responsable de l’accident qui a coûté la vie à Hiroshi, Shiro Mishima, désire à tout prix aider la femme de celui-ci, Yumiko Eda. Pour ce faire, il décide malgré elle, de lui donner un peu d’argent, d’autant qu’elle se retrouve mise à l’écart par la famille de son défunt mari. Ce petit échange deviendra un élément crucial dans la vie de Yumiko Eda.
Naruse arrive à traiter le malheur de manière à ce que les personnages en ressortent plus vivants qu’ils ne l’étaient auparavant. Autant les personnages que les spectateurs recherchent cette lueur d’espoir qui vogue « au gré du courant ». Et la lenteur exaltée de ces deux films nous plonge dans un univers qui devient de plus en plus abstrait, de plus en plus brumeux. Notamment avec Nuages épars qui s’apparente à une sorte de parcours initiatique. C’est en ce sens que le film n’a pas vieilli, car même après cinquante ans, on est toujours en recherche perpétuelle de cette lueur qui ravivera nos cœurs et nos âmes.
Dans Au gré du courant, cette idée du parcours initiatique se fait également sentir, car Katsuyo la fille de Otsuna (la gérante de la maison de Geishas), désire rencontrer son père absent. Elle se retrouve à la charnière de deux étapes de la vie ; l’enfance et le monde adulte. Elle apprend à être forte pour sa mère, à se tenir droite face aux problèmes, à maîtriser son travail. Mais parallèlement, elle ressent le manque de son père, elle cherche à le revoir pour obtenir enfin des réponses qui pourront – peut-être – éclairer sa vie.
Dans ce film, Naruse nous fait part également de sujets qui ont toute leur importance encore à notre époque, tels que le manque laissé par un père, un mari absent, la séparation, la solitude. Dans Nuages épars, le mari est absent, car il est décédé. Yumiko Eda apprend à vivre avec le manque de la personne aimée, un manque qui ne peut pas être comblé, mais simplement supporté. Alors que dans Au gré du courant, les maris sont souvent absents, car ils ont décidé de leur plein gré de quitter le foyer familial en laissant femme, et enfant. Cependant, seule Rika a perdu son fils et son mari par le sommeil éternel.
Au gré du courant, c’est surtout l’histoire de Rika, femme d’une quarantaine d’année qui arrive à être embauchée dans la maison de Tsuna qui manque de crouler sous les dettes. En effet, les filles s’en vont une à une, il ne reste plus que les fidèles à Tsuna qui continuent jusqu’au bout à faire marcher la maison. Cependant une femme qui dit être l’amie de Otsuna a racheté la maison pour en faire un restaurant et demande à Rika de travailler pour elle. Dès lors les questions se posent, vaut-il mieux rester fidèle à celle qui lui a fait confiance depuis le début ou bien lui tourner le dos pour quelques yens de plus ? La modernité de ce film se fait sentir par le sujet qui est lui-même intemporel. Naruse peint le portait de femmes différentes, mais complémentaires, de femmes fortes qui prennent leur vie en main, tant Yumiko Eda dans Nuages épars, que Rika ou encore Otsuna et sa fille Katsuyo dans Au gré du courant.
Mikio Naruse peint des relations qui ne font que se croiser, s’éloigner, se rapprocher. Nuages épars et Au gré du courant sont deux films qui donnent une leçon de vie, ils posent la réalité telle quelle, en nous offrant une sincérité et une évidence qui peu à peu s’éloignent de notre train-train quotidien. On peut donc dire merci aux versions restaurées qui redonnent un souffle à ces deux grands films, projetés une énième fois sur l’écran humble et majestueux du cinéma.
Nuages épars – Note:
Au gré du courant – Note: