Pas de doute, nous sommes à l’Etrange festival avec The taking, très curieux premier film étiqueté d’horreur expérimentale – derrière cette dénomination peut surgir à peu près n’importe quoi, et c’est littéralement le cas avec ce premier-né des BAPartists, nom d’auteurs de Lydelle Jackson et Cezil Reed. Tourné avec presque rien (les co-réalisateurs sont également costumiers, décorateurs et storyboardeurs), The taking (la prise) nous montre les tourments d’un homme et d’une femme, inconnus l’un pour l’autre, piégés et pourchassés par d’immondes bourreaux difformes dans un bois dont ils ne parviennent pas à sortir.
Le film évoque tout d’abord un Massacre à la tronçonneuse duquel on aurait ôté la première partie, plongeant l’intégralité de l’intrigue dans la sinistre forêt. Mais c’est lorsqu’on s’apperçoit, aussi laborieusement que les personnages, qu’ils ne savent pas comment ils sont arrivés-là, puis que chacun des deux projetait d’assassiner quelqu’un quand c’est arrivé, que l’ombre du très putassier Saw et de ses émules se met à planer sur le film ; il s’agirait d’une prise punitive de chasseurs à d’obscurs desseins moralistes.
Très vite, l’homme y passe, et s’avère être un prétexte narratif permettant aux BAPartists de nous montrer ce que risque la femme, la véritable héroïne, si elle échoue à trouver la sortie : on lui volerait son âme. L’intrigue du film commence, tentant le grand écart entre des dialogues froids, unissant la victime au fantôme de sa fille et ce qui constitue la majorité du métrage : du grand n’importe quoi.
Dans cet attentat mystique envers les derniers épileptiques qui regardent, l’unique décor est filmé avec tous les effets de style imaginables dans les limites du budget, si possible en même temps; jump cuts au rythme jamais vu, longs arrêts sur images, accélérés numériques, filtres de couleur, de contraste, filtres sonores. Ces séquences sont le fruit d’une intention d’incarnation des sens et de projections mentales à l’écran – qu’il s’agisse du point de vue de l’héroïne ou au contraire de ses bourreaux. Cet opéra maléfique semble orchestrée par un repoussant sorcier à la salive noire, répondant au soleil, filmé de face sur plus de cinquante plans (attention les yeux), sur lesquels une voix ralentie récite des poèmes parfois beaux, mais toujours frustrants au regard des bien pauvres images qui les illustrent.
De temps en temps, il faut bien reconnaître un certain brio dans ce travail de montage surhumain, qui finit par rendre certains moments d’expérimentations assez envoutants. Dommage alors de retourner auprès de la pourchassée et de sa défunte fille, car ces séquences-ci trahissent par leur aspect didactique le manque de cohérence du tout, en tentant en vain de rattraper les lacunes des spectateurs hallucinés. Dans un long – trop long – échange entre les deux, la petite fantôme dévoile, dans un bien exhaustif programme, toutes les étapes à suivre pour s’échapper du bois. C’est évidemment une cassure du rythme syncopé qui reste la meilleure qualité de The taking. C’est une blessure d’autant plus grande qu’inutile, puisque l’héroine ne parvient pas à s’échapper et se fait à son tour « voler son âme » par les méchants, très méchants.
Si elle échoue, c’est parce que le meurtrier de sa fille lui apparait juste avant la sortie – fantasme ? Réalité ? Oh mon dieu ! – et qu’elle ne peut se résoudre à louper une telle occasion de se venger. Une morale aussi classique dans un film à ce point étrange et vide de substance est assez pénible. Il manque encore de véritables personnages aux BAPartists pour nous la faire avaler ; ce qui est tout à fait possible dans le domaine de l’expérimental, que The taking n’aurait probablement pas dû quitter pour ce carrefour de genres indigeste.
Ces maladresses de premier long n’enlèvent pas une certaine beauté de la forme, que le manque de budget et l’aspect « cheap » du reste viennent toutefois atténuer. De quoi faire réfléchir les rebelles de cuir, persuadés qu’il est toujours bon de s’affranchir de tout.
Note: