On attendait avec impatience les films français de la sélection officielle de ce 66ème festival de Cannes. Lumière sur deux chroniques fictionnelles réalisées par deux Arnaud de renom : Des Paillères et Desplechin. L’un et l’autre s’appuient sur un personnage masculin fort ayant réellement existé, deux héros se battant pour leurs idéaux et visions, deux autoportraits au passé.
Verdict partagé.
Jimmy P. – Arnaud Desplechin
Blessé lors de la seconde guerre mondiale, l’indien (d’Amérique) Jimmy P. se voit contraint de se faire hospitaliser à la suite de troubles importants de la vision, de migraines post-traumatiques et d’autres blessures indéterminables.
La fascination de l’étude scientifique que mène le docteur Georges Devereux sur son patient n’est pas complètement partagée par le spectateur. Jimmy (Benicio Del Toro) cesse d’être personnage principal au fur et à mesure que le docteur (Mathieu Amalric) devient l’unique déclencheur scénaristique.
En effet, si les deux protagonistes sont aussi importants l’un que l’autre au vu de l’histoire, le film lui, s’en retrouve néanmoins affaibli.
«C’est bon, vous n’avez pas de cholestéatome» : l’aspect scientifique apporte peu au film là où l’osé A Dangerous Method de David Cronenberg explorait les retombées réellement vicieuses de la recherche sur le chercheur, au-delà d’un simple rhume.
Le film semble au final hésiter entre le portrait des personnages et l’étude scientifique.
Dans le détail, le zeste d’humour subtil ne parvient pas à faire oublier l’intérêt décroissant du sujet du film au fil des minutes, ni la musique d’Howard Shore (justement compositeur attitré de Cronenberg), ici esseulé qui ne fait que diluer l’intrigue dans des nappes sonores à répétition.
On regrette ici aussi une caractéristique disparue du réalisateur : la cruauté des personnages qui créait la force des films Rois et Reine et Un conte de Noël. On ne parvient pas non plus à partager la fascination et le mystère que l’on avait pour l’héroïne d’Esther Kahn.
Michael Kohlhaas – Arnaud Des Paillères
La première chose qui frappe c’est la douceur que dégage le personnage principal interprété par Mads Mikkelsen, pourtant doté d’un visage aux traits durs. C’est cette douceur que le film porte de bout en bout malgré la tragédie qui se profile. Un film-visage, où pas un moment on ne perd le héros qui lève une armée pour venger l’injustice dont il est victime. La force du film tient à l’impressionnante attraction du regard qu’exerce l’acteur, en contraste avec la simplicité de l’intrigue. Un personnage au centre, envers et contre tout. La douceur dont il est question tient aussi à l’image (magnifique) de Jeanne Lapoirie, portée par les paysages des Cévennes et du Vercors. Tel le visage du héros, les montagnes qui composent principalement les plans résisteront à l’épreuve du temps.
Le film fait preuve d’une épure totale laissant place à l’émotion simple que provoque le dilemme dans lequel se trouve le Michael Kohlhaas, et à l’aspect politique de cette lutte, aspect bien trop souvent couvert de « ficelles » scénaristiques.
Pourtant on ne peut s’empêcher de penser à la disparition de la marque si particulière du réalisateur : la puissance mystique que ses précédents films Parc, Disneyland, mon vieux pays natal et Poussières d’Amérique portaient. On approuve néanmoins sa volonté de rester sobre pour traiter le sujet du film (qui se passe facilement d’innombrables scènes de bataille possibles).
Celui-ci provoque cependant un effet pervers : le personnage, omniprésent, laisse un vide autour de lui et prend le film à son propre challenge.
À la question récurrente : « le réalisateur doit-il se plier au film », les deux cinéastes répondent oui.
Mais s’ils réussissent en tout cas à développer brillamment chacun leur personnage, on espère que ce changement de style, s’il doit s’avérer définitif, portera encore davantage leurs films à venir au-delà du film-personnage.
Jimmy P. – Psychothérapie d’un Indien des plaines, sortie le 11 septembre 2013
Note:
Michael Kohlhaas, actuellement en salles
Note: