Une ville silencieuse. Un plan large en plongée saisit l’étrange calme ambiant. Une jeune ado parcourt un pont à vélo. Le rythme s’accélère. La musique monte. Nous découvrons alors à ses trousses une meute de chiens en nombre surréaliste.
C’est la première séquence, saisissante, de White God, film hongrois honoré cette année du grand prix en section Un Certain Regard. Quant au titre, il se réfère au film de Samuel Fuller, White Dog, où une jeune femme recueillait un gros chien blanc avant de découvrir que ses anciens maîtres l’avaient dressé pour tuer les Noirs, grand film ressorti en salles cet été.
L’ouverture laisse ainsi présager du meilleur, pourtant c’est une longue déception qui nous attend. Les deux tiers du film sont un long flash-back explicitant le pourquoi du comment de cette mystérieuse et scotchante première scène : la jeune Lili doit passer trois mois chez son père, après la séparation de ses parents. Elle tient à emmener son gros chien Hagen.
Dans cette Hongrie contemporaine, les propriétaires de chiens non de race pure sont soumis à un impôt. Le père de Lili accueille donc fraîchement l’animal. Puis il va tenter de s’en débarrasser, provoquant la fugue de sa fille.
Le chien, une fois abandonné, est pris en chasse par la fourrière, fait équipe avec d’autres chiens, est capturé puis dressé pour concourir dans des combats, s’enfuit de nouveau, etc. Jusqu’au retour à la case fourrière. Les chiens parviennent alors à s’échapper et c’est une meute de molosses qui envahit la ville et terrorise la population.
De cette histoire qui rappelle le récent reboot de La Planète des singes, Mundruczo tire une réalisation trop fade, à plus forte raison si elle tente de se mesurer au White Dog de Samuel Fuller. L’écriture se révèle laborieuse : l’exposition n’en finit pas, les caractères sont brossés trop vite. Face à la pure Lili et à l’innocence des chiens livrés à la cruauté des hommes, le scénario oppose de façon trop schématique des adultes soit odieux, soit aigris, tous antipathiques. Le personnage du père va bien évoluer un peu en cours de route, mais ce bouleversement sonne un peu trop faux pour convaincre encore, rendu à ce niveau du récit. Deux plans successifs mettent en parallèle le chien Hagen et la jeune Lili en fuite dans les rues, éclairant bien le regard que jette le cinéaste sur les protagonistes.
Au-delà de ces faiblesses, la mise en scène s’applique trop souvent à illustrer le scénario. Par exemple : si un personnage se sert un verre d’eau (détail sans importance pour l’action), le recadrage se fait sur le robinet qui coule. Mais encore, la caméra à l’épaule n’est abandonnée que pour de brefs instants, ceux des courses-poursuites principalement et le temps de quelques rares plans fixes, pour marquer l’intensité du moment. Sinon, le cadre tremblotte tout du long. Il y a vraiment de quoi se demander ce qui justifie ce tic très irritant du cinéma contemporain. Est-ce trop difficile de poser une caméra sur pied ? Est-ce surtout dans l’espoir de « faire vrai », comme si un cadre non tenu était un gage de réalisme ? Passons.
Tout prête à penser que Kornel Mundruczo cherche à nous dire quelque chose de la Hongrie contemporaine, celle qui a porté le populiste Viktor Orbán au poste de premier ministre. L’impôt s’appliquant aux propriétaires de chiens bâtards symboliserait alors l’intolérance montante. Pourquoi pas, mais l’allégorie politique est un peu faible. Dans ce schéma, les victimes de « racisme » restent en définitive les chiens, exutoires de la cruauté des hommes. Dans le White Dog de Fuller, l’animal est transformé en machine à tuer pour viser une population particulière (en outre, le film du grand Sam repose sur des faits bien réels, il est adapté d’un récit autobiographique de Romain Gary). Du reste, si les bons sentiments n’ont jamais empêché de faire des bons films, ils n’y ont jamais suffi.
De ce White God, il reste à retenir les quelques scènes où les chiens filent dans des rues et sèment la panique, visions surréalistes flirtant pour de bon avec la science-fiction.
Note: