En 2012, sortit un étrange album. Il s’appelait My Teenage Dream Ended. La musicienne? Une star de la télé-réalité Américaine nommée Farrah Abraham, vedette de l’émission 16 ans et enceinte. Ayant écrit un livre à succès sur son expérience, elle décida de capitaliser un peu et d’enregistrer un disque, chaque morceau reprenant un chapitre de son best-seller. Le résultat? Un massacre d’auto- tune, immédiatement moqué et cloué au pilori par tout journal digne de ce nom. Et il faut bien convenir que l’opus en question est inoubliable par son ignorance de toutes les règles de base de la musique, du bon goût. Les coulées incontrôlables d’auto-tune, les batteries systématiquement hors de propos. Puis, petit à petit, une partie de la presse, la plus obscure, y revint pour demander timidement si cet album n’était pas une sorte de chef-d’œuvre d’«outsider music». Car oui, cette ignorance presque complète de toutes les règles de base de la musique avait poussé notre jeune mère millionnaire à en inventer qui lui sont propres et si une telle démarche se solde presque invariablement par un désastre, celui-ci était quelque chose d’autre, comme un fascicule de la musique de l’an 2000. Derrière cette petite anecdote, nous arrivons petit-à-petit au premier album de Fka Twigs, Lp1.
Bon, n’allons pas nous mentir, il y a derrière notre amie un bon paquet de producteurs qui, eux, savent très bien ce qu’ils font et ne laissent rien au hasard. Mais ce préambule n’était pas là pour rien, parce qu’on retrouve ici aussi une transgression constante de ce qui ferait du R’n’B classique. Cette musique n’est pas voisine des dernières expériences de Drake ou de The Weeknd. C’est quelque chose de moins savant, de plus hasardeux. Non pas que notre amie n’ait pas une conscience aiguë de ses objectifs, mais elle creuse un sillon d’une originalité déroutante. Et consciemment, ce qui est peut-être un exploit.
Commençant par un Preface plongeant, aspirant l’auditeur dans ses méandres, l’abum se poursuit par Lights on, l’un des plats de résistance de l’album et un cauchemar lysergique, où Twigs nous dévoile pour la première fois son filet de voix acide pour répéter inlassablement «When I trust you we ‘ll turn the lights on». Des dizaines de sons qui surnagent dans le brouillard, basses, synthés, cloches, sirènes de voitures, bruits de scratch, guitare passée à l’envers, rires de clowns, flûtes, nous parvient un sentiment d’urgence, le rythme accélère, ralentit, se fige, reprend, le son se dilate, devient énorme puis se compresse à la taille d’un suppositoire et la chanson se termine. Si l’on écoute ça pour la première fois, dire qu’on a passé un bon moment est très certainement un mensonge.
Le deuxième morceau, Two Weeks n’apporte rien de bien neuf à ce que proposait Lights on, même si le son a tendance à s’emballer avec bien plus de vergogne. Il est tout de même d’une très bonne facture, notamment par le biais d’un excellent accompagnement au synthé. Single de l’album, il est loin d’être le plus efficace ou le plus convaincant.
Hours est un morceau reposant sur un passage constant de l’accalmie au vacarme, et l’une des productions les plus complexes de l’album où des bruits se superposent à la voix, puis se compressent, virevoltent et se fractionnent pour mieux renaître. À ce stade, le but de Fka Twigs commence à s’apparenter à celui d’un groupe comme Animal Collective. Suggéré par l’enchevêtrement de bruits concrets qui passent comme des trains à l’arrière plan, qui se bousculent partout autour de la fragile voix coincée au milieu, le morceau est un petit chef-d’oeuvre.
Après l’épuisement consécutif à Hours, Pendulum est un morceau qui prend bien plus son temps, construit sur une montée en puissance dont la fin voit la chanteuse donner franchement de la voix pour la première fois. Rien à redire. Video girl est sans doute le morceau le plus direct de l’album, en cela qu’il est régi par une mélodie aisément identifiable et un refrain. Même l’orchestration se fait beaucoup moins complexe et saccadée. Tellement pop, qu’on songe presque à un morceau de Portugal The Man. Pas nécessairement le morceau le plus intéressant de cet album varié.
Numbers continue dans cette veine avec une rythmique assagie. La chanson commence de manière très simple, direct, puis se désintègre peu à peu. L’une des plus belles de l’album, elle se termine en une mélodie lancinante où Fka Twigs fait des merveilles avec des couinements suraigus et conclut le tout en un refrain à faire pleurer un bourreau. Puis la boucle se boucle. Closer et Give up sont tous deux des morceaux assez brillants, mais qui n’apportent rien de nouveau à l’équation. Puis Kicks vient reprendre tout cela, tout ce bazar laissé par terre, s’en saisit pour construire un dernier morceau bouleversant et honnête, ce qui est tout de même un exploit compte tenu des couches de synthés et d’auto-tune qui se font plus imposantes que jamais.
Donc, le premier album de Fka Twigs n’est pas un album facile à digérer, loin s’en faut. Mais cela n’est que momentané, car il représente un bond en avant en termes de production. Quelque chose de nouveau arrive avec lui, c’est indéniable. De quoi s’agit-il ? No sé. Il faudra sans doute attendre son prochain LP, espérer que la diva ne fera pas comme le musicien lambda qui se laisse trois ans de réflexion avant d’oser refaire un album (il faut battre le fer tant qu’il est chaud, nom de Dieu). Certaines choses ne sont qu’à l’état embryonnaire sur cet album, certaines expériences ne sont qu’esquissées. Elle doit encore trouver une voie qui n’appartienne qu’à elle, étant encore un peu proche de beaucoup d’artistes de son milieu. Mais Fka Twigs va devenir incontournable dans les années à venir, inutile de le nier. Et nous pourrons l’écouter avec moins de mauvaise conscience que The Weeknd.
FKA Twigs – LP1, disponible (Young Turks)
Note: