Comme chaque année en septembre, c’est la grande rentrée des séries, et nous allons pourtant prendre le temps de revenir sur le passé afin de parler d’une série qui mérite d’être davantage connue. Diffusée à partir de 2013 sur Channel 4 an Angleterre, elle a fait beaucoup parler d’elle et son arrêt définitif a été annoncé cette année à l’issue d’une deuxième saison. HBO a semble-t-il récupéré les droits et avait annoncé la production de sa version américaine avant de finalement se rétracter. Cela paraitrait pour tout à chacun comme un signe de qualité moyenne, mais il n’en est rien. En réalité, voilà une série qui régalera les amateurs de productions courtes, privilégiant un scénario à la manne financière.
Utopia : tel est le nom évocateur de cette fantastique série. Cela pourrait parler de tout un tas de choses : de lendemains qui chantent, de mondes rêvés, de l’espoir de mieux. En réalité, Utopia est le titre d’une bande-dessinée, à la mode comics, plutôt un roman graphique, qui fait l’objet d’un petit culte dans le cercle fermé des connaisseurs.
Le pitch est assez simple : un groupe de jeunes passionnés se donne rendez-vous pour parler du deuxième tome du roman jamais publié. Malheureusement pour eux, ils se retrouvent tous très vite avec des ennuis conséquents. Certains se voient inculpés pour viol sur des enfants, d’autres nez à nez avec des tueurs en série qui posent des questions… incompréhensibles ! Bref Utopia, nous amène très rapidement dans l’univers du complot et de la conspiration.
Le premier épisode est un véritable fer de lance. Il présente l’air de rien, dans ces dix première minutes, tout ce que sera la série, à savoir un récit haletant, plein d’interrogations, d’action et de rebondissements. C’est aussi un véritable joyau visuel où la réalisation, privilégiant les plans larges et une photo exaltant les couleurs flashy, font de Utopia une série magnifique et réellement à part. C’est ce qui marque le plus dans Utopia. Chaque plan est simplement beau. Dennis Kelly, le réalisateur, le dis lui même : « Les séries qui alternent les plans serrés sur des personnages en pleine discussion, ça ne m’intéresse pas »
On prend donc un véritable plaisir à regarder les images qui défilent. Les couleurs exacerbées de la nature crèvent l’écran, les habitations regorgent de couleurs intenses, tantôt le vert, tantôt le violet et puis ce fameux sac jaune fluo que trimballe un drôle de personnage et qui contient différents objets aussi dangereux les uns que les autres. Ce choix n’est pas un hasard et montre là aussi une maîtrise du scénario puisque c’est simplement un lien direct avec ce qu’est Utopia : un roman graphique.
Mais la série n’est pas seulement jolie. C’est aussi une histoire complètement prégnante dont on aura bien du mal à sortir. C’est simple, avec son introduction directement au cœur de l’action, il est bien difficile de ne pas enchainer les épisodes. Son ambiance complètement oppressante dans ses fondements de la théorie du complot et de la relation très intime à l’approche de la mort, fait qu’on se cramponne à son fauteuil et qu’on partage la pression et les angoisses de ce groupe qui est très vite dépassé par les événements.
La musique, très atypique, n’est pas pour rien dans cette ambiance. Le travail de Cristobal Tapia de Veer est simplement remarquable. Le thème d‘Utopia est magnifique, et les musiques bizarres accompagnant Jessica Hyde, The Network et autre M. Rabbit, que vous découvrirez au fur et à mesure, sont impressionnantes d’efficacité et de qualité.
Heureusement, même si les réponses tardent à venir, beaucoup d’éléments font avancer l’histoire d’une manière méthodique et plausible, permettant au spectateur de reconstituer le puzzle et de comprendre petit à petit, mais aussi de le surprendre presque constamment. Chaque plan a son importance. L’introduction d’un nouvel élément sera forcément utilisé par la suite, soit dans le même épisode, soit plus tard. On s’amuse d’ailleurs très rapidement à repérer ces indices, avec l’envie de comprendre au plus vite ce dont il retourne.
Les personnages de la série sont également un élément fort : Nathan Stewart Jarrett, déjà vu dans Misfits qui incarne un jeune informaticien en mal d’aventure, Alexandra Roach en fille rondelette qui se réoriente professionnellement, un excellent Adeel Akhtar en hacker très informé et un peu gauche et Oliver Woolford en jeune garçon en train de basculer dans la délinquance. Le tout poursuivis par deux hurluberlus froids et semble-t-il assez perdus, posant toujours la même question avant de zigouiller les gens : « Where Is Jessica Hyde ? », qui est véritablement le slogan de la première saison. Notons au passage la performance de Neil Maskell tout au long des deux saisons, et qui est souvent à l’origine de la prononciation de cette phrase.
Ce groupe très hétérogène, où chacun peut se retrouver un peu, permet de créer un lien fort entre le spectateur et les personnages. On est membre à part entière de ce groupe et on cherche nous aussi les réponses. Leur évolution personnelle est des plus intéressantes. Chaque rebondissement est l’occasion de remise en question pour chaque personnage, à la fois par rapport à sa place dans l’histoire mais aussi dans le groupe. Chacun essaye de s’en sortir du mieux qu’il peut, quitte à jouer contre le groupe lorsque nécessaire. Ainsi , l’appui et le réconfort recherché au sein du groupe est un équilibre fragile et les reproches sortent rapidement. Cette fragilité est mis en exergue face à une efficacité implacable de la conspiration. Simplement jouissif à regarder.
Lors de la saison 2, les personnages, plus aguerris, auront des positions beaucoup plus tranchées et l’évolution de l’un d’entre eux est révélatrice de ce que veulent montrer et développer les auteurs. Quel position adopter face aux problèmes ? Peut-on accepter de sacrifier des personnes pour un avenir potentiellement meilleur pour tous ? Vous aurez vous aussi à vous interroger sur votre position concernant les théories développés.
Signalons que la série est un tantinet violente, pas tant à cause d’images horrifiantes, mais beaucoup de personnes meurent de façon plus ou moins choquante et elle met aussi en scène des situations compliquées. Cela lui a valu de nombreuses critiques notamment de téléspectateurs anglais. Ce parti pris, comme expliqué ci dessus, est pourtant une marque forte et très importante pour le récit notamment dans la relation entre les personnages mais aussi entre le groupe et The Network, ou l’opposition entre la toute puissance de la conspiration et la fragilité de la résistance.
On ne rentrera pas davantage dans les détails de l’histoire afin de ne pas ôter le plaisir de la découvrir au fur et à mesure. On ne peut en revanche que conseiller de se faire son propre avis sur cette série. Elle regroupe tout un tas de personnages, certains attachants, certains se révélant plus complexes qu’on ne le croyait, d’autre beaucoup plus malsains qu’on ne le pensait.
Et c’est aussi une compilation de personnages complètement flippants pas forcément dans leur geste et comportement mais plutôt dans leur idéologie et personnalité ! A commencer par une Jessica Hyde, dont on ne sait où elle est…
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