Avec Barbara, Mathieu Amalric fait imploser le traditionnel biopic pour une nouvelle forme de narration toute en trompe l’œil.
Devant l’objectif, Jeanne Balibar joue Brigitte qui joue Barbara.
Derrière la caméra, Mathieu Amalric filme Mathieu Amalric qui filme Barbara.
Un triple portrait poétique de l’artiste au travail comme une mise en abîme psychanalytique.
Voilà le pari audacieux et intense du cinéaste Amalric lorsqu’il décide de s’emparer de la figure iconique de la chanteuse.
Après un générique d’introduction majuscule qui pose en lettres de néon les noms des protagonistes à la manière somptueuse et pompière d’un Godard, le film démarre presque timidement en proposant une série de scènes minutieuses.
Une actrice se prépare à jouer le rôle d’une icône. Elle travaille sa voix, ses gestes, apprend ses chansons, se met au tricot, visualise les scènes. Tout cela va très vite et pose les standards artisanaux de la fabrication d’un personnage.
Le réalisateur travaille lui aussi de son côté, cherche l’inspiration par les rencontres et la vérité documentaire d’un mythe qu’il ne faut pas déformer.
Mais très vite, ce prologue efficace s’efface au profit d’autre chose.
Amalric fait le choix de laisser l’esprit de la chanteuse envahir son film par un subtil effet de variations et abandonne totalement toute linéarité narrative.
La caméra d’Amalric devient finalement un objet naviguant au sein de plusieurs formes qui se répondent et se contaminent.
Cette idée de contamination est centrale dans le dispositif du cinéaste.
Pour beaucoup, aimer Barbara se vivait de manière totalement obsessionnelle. La chanteuse investissait par ses mots, ses gestes, son style, son art de vivre la vie de ceux qui l’aimaient de près ou de loin, comme par effraction.
Amalric prend à son compte cette obsession. C’est l’esprit de Barbara qui s’introduit comme un virus au sein de la mise en scène. Si bien que l’on ne sait plus trop si c’est Balibar qui joue Barbara ou l’inverse.
Le cinéaste transi d’admiration pour la chanteuse voit son film lui aussi contaminé par des saillies documentaires toutes droites issues du documentaire de Gérard Vergez, tourné en 1972 où l’on voit une Barbara passagère sur les routes de son tour de chant. D’une certaine manière, la réalité corrompt littéralement la fiction.
Dans la même idée, le livre de Jacques Tournier, Barbara ou les parenthèses, publié en 1968, pénètre insidieusement la pensée du film jusqu’à occuper un espace central au sein de l’œuvre.
Le film se retrouve alors comme un puzzle hétéroclite et fiévreux qui malaxe une matière combinant réalité et fiction, personnages et acteurs avec comme fil conducteur que la création et l’imaginaire doivent l’emporter sur la narration.
Amalric ne fait pas pour autant l’impasse sur l’histoire de Barbara, mais procède à la manière d’un peintre pointilliste par petite touche satellite.
Tout est là mais le plus souvent par allusion, pour ne pas corrompre le thème central de l’œuvre. Bien sûr, l’enfance juive de Barbara, la guerre, ses rapports conflictuels avec sa famille et incestueux avec son père, son addiction aux médicaments et aux hommes.
C’est l’agrégation de ces allusions qui reconstruit la vie de Barbara alors que le film dans son dispositif ne cesse de la déconstruire pour entretenir un rapport presque meta avec son personnage.
Récompensé du prix Jean Vigo et d’un prix, nouvellement baptisé à Cannes, du prix de la poésie du cinéma dans la section Un Certain Regard, le film force l’admiration.
Néanmoins, la vision d’Amalric reste théorique pour le spectateur. Son film puissamment conceptuel est un objet opaque, fermé dans lequel il est difficile de trouver de la prise.
D’autres cinéastes proposent des songeries poétiques en déconstruisant la narration. On pense à Lynch, Weerasethakul par exemple. Mais pour ceux-là, une magie presque chamanique opère irrémédiablement. Ce n’est pas le cas de Barbara. Derrière l’intelligence de la démarche presque programmatique, le magnétisme ne fonctionne pas et l’œuvre reste froide.
A la remise du prix Jean Vigo, le prestigieux jury avait bien entendu salué le travail admirable du metteur en scène reconnaissant en lui « un expérimentateur dont le goût du risque lui permet de se renouveler à chaque film » mais considérait aussi ce prix comme un « prix d’encouragement et de confiance ».
Nous n’aurions pas mieux dit.
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