Il y avait dans Inception, une séquence ou plutôt une image, dans laquelle le principe du film – à savoir « vous êtes dans un rêve où tout peut arriver » – était employé à la production d’une image littéralement renversante, celle d’une rue de Paris se soulevant comme on plie une feuille de papier, et retournant l’espace sur lui même. Après cette prouesse formelle prometteuse, le réalisateur décidait finalement de ne faire apparaître de manière déceptive que des armes à feux, pour mener à une fusillade dans la neige façon L’espion qui m’aimait. Nolan avait conquis la planète avec The Dark Knight, il la conquérait une seconde fois avec Inception, mais en laissait sceptiques quelques-uns. Tous ces emboîtements de rêves pas si incompréhensibles que cela ne troublaient pas autant que le vertige provoqué quelques années auparavant par Matrix et le plan final sur la toupie fit délirer autant qu’il fit doucement sourire.
Dans Interstellar, Nolan va tenter de conquérir un autre monde, de le trouver pour ensuite y installer l’humanité. Le film se présente comme une fable de science fiction désenchantée, sans univers parallèle, sans altérité mystérieuse et intergalactique. L’horizon des hommes n’est plus à la découverte, mais à la survie : la terre se meurt, la poussière envahit tout, l’agriculture devient impossible, etc. Le film s’ouvre sur un univers cinématographique syncrétique, évoquant d’une manière étrangement directe de grands moments contemporains, Take Shelter, Looper… mais également Les moissons du ciel ou La mort aux trousses, explicitement citée. Le climat est défaitiste, l’image est brune, la femme du personnage est morte, seuls restent les enfants, la nouvelle génération dont on ne sait que faire et le grand père tourné vers le passé, ressassant platement de vieux démons qui remontent.
Déjà les personnages formulent, théorisent… Plutôt que de vivre l’histoire, ils la racontent eux-mêmes, l’explicitent par des aphorismes sans grand intérêt, des ratiocinations dont Nolan et son emphase habituelle nous avait largement habitués. Il y a de belles choses là-dedans, comme un drone perdu qu’il faudrait traiter comme un animal qui « ne fait de mal à personne », mais la musique et les dialogues couvrent les images, empêchent le récit de s’incarner dans un présent que l’on attendra jusqu’au dernier plan.
Nolan ne cache pas sa prudence. Il ne souhaite pas faire un film de science-fiction inscrit dans un univers science-fictionnel « classique », soit. Il ne souhaite pas refaire 2001, soit, mais quoique. Il ne souhaite pas non plus refaire Gravity, ni Mission to Mars. Pourtant le spectateur y pense et cette tentative d’abandon de la terre s’alourdit de références mal maîtrisées, entre peur de la citation et obligation de l’hommage.
Si l’on revient à cette fameuse séquence d’Inception, dans laquelle Paris se courbait, on pourrait avec ce dernier film, voir mieux se développer cette idée non seulement visuellement, mais également dans le scénario, car il s’agit bien de repenser les espaces, de repenser l’espace temps tridimensionnel pour avancer. Ces intentions sont louables, elles sont passionnantes en termes de mise en scène et les problèmes autour de la gravité étaient déjà présents dans Inception, mais également dans les Batman, avec ce héros chauve-souris pourtant incapable de s’envoler, alourdi par son image, son argent et sa responsabilité. Le problème de Nolan, malgré ses quelques qualités indéniables de filmeur d’action (qui ne se sont réellement manifestées que dans le deuxième Batman, The Dark Knight), c’est que l’image ne l’intéresse pas. Par dessus chaque séquence d’Interstellar, il y a une réflexion inintéressante sur l’espace temps, les personnages n’arrêtent jamais de parler, de tergiverser, de réfléchir en direct sur ce qu’ils sont en train de vivre. Ce dont le spectateur ne fait jamais vraiment l’expérience, faute d’immersion réelle des personnages eux-mêmes.
Nolan fait un cinéma qui manque de corps. Il tord l’espace, le temps, le montage, mais tout cela pour mieux illustrer parfois à la va-vite, les vagues idées philosophico-mystiques qu’il tente d’insérer dans son film. Mais alors où va l’entreprise ? Un film d’action ? Non. Un film de science-fiction ? Non plus. Un film qui nous délivrerait comme l’avait merveilleusement fait Matrix, une pensée réflexive passionnante ? Un chemin métaphysique vers l’inconnu comme l’était le chef d’oeuvre de Cameron, Abyss ? Non. Non, Nolan veut faire un film de Nolan. Et c’est le principal problème. Ce nom est devenu tellement énorme, boursouflé, comparé à Kubrick (comparé à Kubrick!!!) qu’il ne fait qu’entretenir ses propres motifs, un montage alterné maladroit, une lourdeur solennelle à la limite du supportable, une réflexion sur la trajectoire des individus… Tout cela en touche une sans faire bouger l’autre. Quelques séquences se démarquent, quelques courbures encore une fois impressionnent, mais le cinéaste passe trop vite à ce qui semble l’intéresser réellement, à savoir un discours pompier sortant de la bouche des personnages. Aussi infime soit la pensée produite par le film, cela semble la moindre des choses que de laisser parler ou penser le film de lui-même, de le laisser respirer. Mais non, il faut tout dévoiler par le discours, il faut tout expliquer pour mieux tenter de perdre et de donner l’illusion de la grandeur. Avoir de l’ambition à tout prix.
On peut également en vouloir à Interstellar de partir loin, pour au final se retrouver face à lui-même, comme le faisait 2001, mais à un moment où le film avait abandonné la parole, avait laissé tombé l’explication, pour ne constituer qu’un mystère optique et sonore fascinant, livré au spectateur qui, le cœur battant, en débattrait pendant des heures avec ses amis. Le cinéphile est ici anticipé, on lui fournit un champ de maïs pour lui faire penser à Hitchock, on lui offre un Matthew McConaughey explicitement pétri de ses rôles précédents et ce bon vieux Michael Caine qui joue au sage, une fois de plus. On biberonne le cinéphile, sans que le film soit lui même cinéphile, alors qu’il n’est constitué dans sa syntaxe, que de cinéma. Il n’y a pas de philosophie dans Interstellar, il n’y a que des manques. Des manques de séquences-expériences comme on en trouvait dans Gravity, des manques d’empathie comme il y en avait dans Mission to Mars… Et des manques d’action tangible, ce qui pourtant ne faisait pas défaut à The Dark Knight. Le manque principal étant tout de même le manque d’émerveillement du cinéaste lui-même, plus occupé à dire qu’à montrer, ce qui compte ce sont les signes/preuves de l’ambition qui, elle, ne s’incarne jamais, sinon dans une auto-démonstration pénible et interminable.
Note: