Trust, c’est bien sûr en anglais la confiance, mais le terme désigne également dans le jargon économique une entreprise qui possède une position dominante qui peut très vite devenir anticoncurrentielle. La pièce écrite par Falk Richter se situe donc précisément dans cet entre-deux, là où le sentiment humain rencontre la réalité d’un monde néo libéral en pleine crise. Il s’agit d’un théâtre éminemment politique dans le sens où l’auteur interroge sans cesse la relation entre l’homme et un système social qui s’écroule et auquel on ne peut plus se fier. Falk Richter pose un certain nombre de questions actuelles très essentielles liées à la crise que nous vivons aujourd’hui et aux rapports humains dans un tel contexte.
De quelle façon notre société peut-elle continuer à se développer alors que la confiance dans les institutions politiques et financières n’existe plus ? Comment vivre une relation à deux quand le sentiment amoureux est vu comme un « investissement » ? L’écriture de Richter, très dense, moderne et musicale, car basée sur le rythme et sur une forme d’urgence, interroge le sens des mots et notre rapport à l’autre, au monde, à nos corps (comme réceptacles du monde extérieur), à l’argent, au travail…
La scénographie s’appuie sur un plateau rectangulaire autour duquel est assis le public, favorisant la proximité avec les acteurs et la circulation des personnages dans l’espace. Les sept comédiens viennent dire leur dialogue sans fil narratif apparent. Cela commence par la récitation de slogans et se termine dans la cacophonie, peut prendre la forme d’une thérapie de groupe autour du burn out ou du pétage de plombs d’une stagiaire exploitée, les scènes se jouent dans le monologue, à deux ou à plusieurs, dans un équilibre entre le grotesque, l’hystérie, la colère, la lutte et le renoncement, dans une alternance de rythme et des climats.
Mais si le texte est primordial dans Trust, le travail de chorégraphie est aussi important. C’est une pièce physique, où les corps se cherchent, s’évitent, s’élèvent – formidable séquence d’ascension d’une pile de magasines d’arts contemporains par Pierre Déaux, proche du cirque – ou chutent, incarnent l’ordre et le désordre, s’agitent inutilement au son d’une musique techno dans un leurre de bonheur collectif. Comment tenir debout, semble signifier Richter, comment réussir à s’incarner physiquement à l’heure du numérique, des rencontres sur Internet et de la publicité ? Comment être autre chose qu’un simple avatar ou la photo de son profil Facebook ? Comment trouver sa place dans un monde de compétition et de représentation permanentes ?
Trust donne donc matière à réflexions – sur les utopies, le sens de l’époque, la solitude moderne, l’engagement – politique, amoureux -, la déréalisation des modes de communication -. Mais si la charge anticapitaliste est mordante, Richter se garde bien de donner une quelconque solution – collective, pourquoi pas ? – à ce bazar généralisé, si ce n’est ce crash final inévitable et prévisible, où les gilets de sauvetage n’ont plus aucune utilité dans la catastrophe qui se joue.
Photo : Raynaud de Lage
Trust, de Falk Richter – Avec La Compagnie Merci, au Théâtre National de Toulouse – Du 23 au 31 octobre 2014
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