Spielberg qui réalise une aventure de Tintin, cela ressemblait tellement à une évidence qu’on ne voyait absolument pas qui d’autre aurait pu adapter sur le grand écran les aventures du jeune reporter imaginé par Hergé. Sans doute parce que les deux hommes ont révolutionné leur art spécifique, le cinéma et la bande dessinée, en réinventant la notion de divertissement populaire et en le portant à l’attention du plus grand nombre. Certainement aussi car le personnage d’Indiana Jones, créé par George Lucas s’inspire directement ou indirectement de Tintin. Tous deux sont des hommes de lettre, un professeur d’archéologie et un journaliste, portés par une soif d’aventure qui les conduit aux quatre coins du globe, tous deux sont persévérants, courageux, malins, imaginatifs et d’une nature solitaire. L ‘aspect lisse de Tintin est contrebalancé par son acolyte le Capitaine Haddock dont le personnage interprété par Harrison Ford hérite des caractéristiques négatives et des faiblesses, le côté colérique, bourru.
Pourtant, d’un cinéma universel et transgénérationnel, la filmographie de Steven Spielberg a évolué vers davantage de maturité dans la décennie passée, pour se diriger vers des œuvres plus adultes, comme Munich, Minority Report ou La guerre des Mondes. Sa dernière incursion dans le film d’aventure était une déception : Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal échouait à faire renaître la nostalgie liée au personnage, à tel point qu’on en venait à douter des capacités d’entertainer du réalisateur.
Si Spielberg n’a rien réalisé depuis cet Indiana Jones IV de sinistre mémoire, ses dernières productions indiquaient une envie de revenir vers l’esprit des années 80, que ce soit avec Cowboys et Envahisseurs ou Super 8 aux volontés identiques de réveiller l’esprit spécifique des productions Amblin, comme Les goonies ou Gremlins, en en réactualisant les codes visuels et narratifs pour le public d’aujourd’hui. Malgré des résultats que l’on qualifiera de mitigés artistiquement parlant, on était rassurés sur les intentions de Spielberg de renouer avec ses succès d’antan, et de reconquérir son titre incontestable de meilleur réalisateur de divertissements au monde.
L’adaptation de Tintin au cinéma était un véhicule rêvé pour le retour en grâce de Spielberg, autant qu’un piège potentiel : chacun en a lu au moins un volume dans sa vie, s’en est fait sa propre représentation mentale, difficilement compatible avec la vision unique d’un cinéaste. Deuxièmement, les tintinophiles étant très pointilleux sur l’objet de leur adoration, on ne doutait pas qu’ils allaient se montrer tatillons sur la fidélité à l’oeuvre originale, limitant les marges de manœuvre de quiconque oserait s’attaquer à une transposition des aventures de leur héros favori. Bonne nouvelle : Steven Spielberg a déjoué tous ces pièges et d’autres encore, liés notamment au risque d’enfermement à l’intérieur de la fameuse ligne claire chère à Hergé et à l’aplat unidimensionnelle de la planche. Il livre le plus grand film d’aventures de récente mémoire, d’une virtuosité ahurissante, inventif et ludique, accumulant les morceaux de bravoure sur un rythme sans temps mort, se réappropriant le matériau d’origine dans un geste d’émancipation bienvenu mais qui est aussi le plus bel hommage que Spielberg pouvait rendre à Hergé.
Le film commence par un générique en deux dimensions, à la façon de celui de Arrête-moi si tu peux, lui même inspiré de Saul Bass. Issus d’une machine à écrire, les silhouettes noires des personnages se déplacent en ombres chinoises dans l’espace, en suivant des lignes géométriques qui permettent leur mouvement. Horizontalité, verticalité, lignes, carrés, bulles, les codes de la bande dessinés dont Spielberg va s’extraire sont ici convoqués dans une forme de passage de relais signifié par une magnifique première séquence : Hergé, en dessinateur de rue, termine le portrait de Tintin pour le suspendre à côté de tous ceux que l’on retrouve en pages intérieurs des albums de la série. Du crayon à la palette numérique, du dessin à la perfection du photo réalisme, on assiste à la transmutation d’un univers dans un autre, permis par la performance capture qui autorise toutes les possibilités de mise en scène, les plans les plus fous comme les transitions les plus audacieuses.
Dans ce film qui s’affranchit de l’obstacle de la case, tout est question de mouvement et de rythme, que rien ne vient jamais interrompre. Après s’être joué dans son premier acte des pirouettes habituelles de la bande dessinée – crocs en jambes, percussions de lampadaires, chutes en tout genre convoquant l’esprit burlesque de Chaplin et Keaton – Spielberg nous embarque dans un tour de grand huit, manège à sensations où se succèdent sans discontinuer les séquences les plus invraisemblables qui fonctionnent comme autant de morceaux de bravoure autonomes. Il ne cesse de nous impressionner par la précision et l’intelligence du découpage, la science du cadre, des mouvements d’appareil et de la gestion de l’espace, tout en utilisant les outils d’une technologie qui permet tout aux seuls bénéfices du suspens, des enjeux et de la dramaturgie.
Si Les aventures de Tintin : Le secret de la licorne est un immense film d’action, il n’en oublie cependant pas ses personnages, qui s’incarnent brillamment à l’écran. Le visage rond et poupin sur papier de Tintin gagne ici des traits plus longs et fins, des yeux plus malins et une carnation de peau spécifique aux roux. Le capitaine Haddock est le personnage le plus fascinant du film comme il l’était dans les bandes dessinées, c’est celui qui a un chemin personnel à effectuer, en fouillant dans sa mémoire pour retrouver le souvenir de l’histoire de ses ancêtres. Sa beauté vient aussi de son côté tragique, son alcoolisme n’étant pas évacué mais traité frontalement, et source il est vrai des scènes les plus drôles du métrage. On a réellement cette impression que l’univers d’Hergé prend vie sous nos yeux, c’est un véritable émerveillement de gamin identique à celui que l’on a vécu à dix ans lorsqu’on a découvert pour la première fois Les aventuriers de l’arche perdu en salles, confirmant le slogan qui veut que de 7 à 77 ans, Tintin n’a pas d’âge.
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