Pourquoi aimons-nous nos enfants ? Le sang influence-t-il nos sentiments ou bien est-ce le quotidien qui construit et affine cette complicité sans faille ? Dans le premier cas, la chair serait donc empreinte d’une responsabilité dont on ne peut se défiler. La pulpe de notre peau, les tissus de nos artères, tous tendent vers l’obligation d’aimer. Le choix ne serait pas envisageable, il y aurait dans nos gènes une prédestination à chérir sa progéniture. La seconde idée offre une liberté qui dérange, qui bouleverse les codes de la société actuelle. Cependant elle offre un certain équilibre dans ce déséquilibre. Lorsque nous adoptons, nos sentiments ne baignent pas dans un concentré d’hémoglobine ou à travers une branche d’ADN, mais dans la relation qui va éclore avec l’enfant. C’est si peu et tant à la fois, un regard esquissé, une larme dissimulée, un moment partagé, un dîner avalé. Ces instants qui font de l’anodin, une vitalité.

Hirokazu Kore-Eda ne prétend pas apporter de réponse, il décide d’aborder des esquisses d’hypothèses en se concentrant sur deux familles que tout oppose. L’intrigue rejoint celle de La vie est un long fleuve tranquille d’Etienne Chatilez en 1988, puisque le sujet principal va s’organiser autour d’un malencontreux échange de nourrissons à la maternité, six ans auparavant. Matière qui fascine puisqu’une série Switched at Birth vient également de sortir sur le petit écran. Serait-ce l’avenir voué à l’échec ou la mise à l’épreuve de l’amour qui captive autant ? Pourquoi vouloir mettre en conflit l’attachement naturel contre celui jugé plus artificiel ? Et comment savoir lequel prédomine ? Lequel est le plus légitime ?

Revenons à Tel père, tel fils, les enfants ont déjà bien grandi (6 ans) et lorsque l’hôpital apprend la terrifiante nouvelle aux parents, le film prend son envol. D’un geste qui s’avère parfois maladroit, le cinéaste peint le portrait d’une famille aisée au père travailleur – et donc souvent absent- et, à l’inverse, une famille modeste où la tendresse semble déborder. Plusieurs clichés sont hélas sollicités, comme la froideur épurée des appartements de riches contre ceux en désordre, mais chaleureux des plus réduits. On mange avec sa propre assiette chez l’un et dans un plat commun, chez l’autre. On se lave seul chez l’un, et on prend le bain tous ensemble chez l’autre. Ce schéma s’avère parfois un brin caricatural et pointe du doigt la différence de classe comme un frein à l’affection. Du moins, c’est le canevas qui s’organise dans la première partie du long-métrage. La suite des événements prouvera l’inverse avec poésie et enchantement.

Si Kore-Eda révèle sa virtuosité à filmer des enfants dans Nobody Knows, il le prouve aisément avec Tel père tel fils. Il place sa caméra à une distance idéale pour capturer la vie sans avoir l’air d’y toucher, dévoilant les expressions les plus sincères des bambins qui évoluent avec brillance. Outre l’amour que s’échangent les familles, on resent également la passion que le réalisateur porte à ses personnages. Il évite les drames, prenant bien soin de ne pas les brutaliser, amenant chaque épreuve avec douceur et délicatesse. Il ne veut pas les lacérer, il prend soin d’eux, les berçant dans leur fragilité. Si on reprochera le rythme boitillant et la longueur excessive de son film, on en comprendra cependant la raison. S’impliquant dans le sort de ses personnages, Kore-Eda s’attarde sur eux, prend son temps, refusant de les abandonner sans les avoir complètement préparés au drame qui se profile à l’horizon. C’est cette tendresse ultime qui sera au cœur du récit et d’une justesse désarçonnante et non la narration qui elle, s’avérera un zeste grossière dans ses stéréotypes.

Impossible de ne pas aborder le personnage de Ryoata Nonomiya qui tranche avec les autres personnalités parentales (sa femme attentionnée et aimante, la famille modeste très engagé et présente dans l’éducation de ses enfants), car son centre d’intérêt primordial n’est qu’autre que son travail. Souvent absent, architecte reconnu, il se pare d’une froideur dérangeante à l’égard de son fils. Il pense ne pas l’aimer. Et lorsque le directeur de l’hôpital lui apprend que cet enfant n’est pas son « vrai » descendant, on jurerait percevoir au fond de ses pupilles un éclair de soulagement, d’évidence. Pourtant, le réalisateur ne nous permet pas de le juger et il accompagne cet homme avec le plus profond respect dans ses doutes, ses failles, mais surtout ses contradictions. Car s’il revendique son détachement par rapport à l’enfant qu’il élève depuis six printemps, son amour illumine l’écran à travers ses gestes. Les leçons de piano, les parties de jeux vidéo, les ballades au parc, les photographies. Son discours perd en crédibilité au profit de son attitude. Nous attendons juste qu’il en prenne conscience lui aussi et il le fera de la même manière que nous en quelque sorte, par le numérique, par l’image.

Un dilemme nous irrite instinctivement : doivent-ils de nouveau échanger leur progéniture pour élever leur véritable fils ? Ou doivent-ils conserver chacun de leur côté cet enfant qui n’est pas le leur, mais qu’ils ont éduqué comme tel ? La situation est terrible, éprouvante, insupportable. Et Kore-Eda va faire quelques maladresses notamment dans son utilisation lacrymale du pathos. L’utilisation de notes graves au piano toutes les dix minutes pour nous rappeler le désastre de la situation n’était pas une obligation. Le masque de tristesse s’esquissant sur le visage de la femme de Ryoata suffit amplement. Il n’était pas nécessaire d’appuyer le sentiment d’impuissance et de fatalité qui s’abat sur les deux familles en les écrasant de mélodie dramatique, surtout qu’il ne le fait pas dans la mise en scène et dans les dialogues, privilégiant la légèreté et l’humour.

Véritable fable lyrique, Tel père tel fils, enchante aussi vite qu’il désenchantait au départ. La fin ravive l’espoir qui émerge de tout part. Cette ivresse poétique se rapproche de l’émerveillement qui irrigue le cinéma de Steven Spielberg, qui accordera d’ailleurs au film le prix du jury au dernier festival de Cannes et qui a pour projet de produire le remake Américain. On retrouvera cette même ferveur pour le miracle qui fait la particularité des films du réalisateur de E.T. et de Rencontre du 3ème type. D’un postulat dramatique et chaotique, le film marche vers la lumière jusqu’à son final éblouissant où plus rien ne compte, sauf le véritable amour.

Tel père, tel fils – Sortie le 25 décembre 2013

Note: ★★★☆☆

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