Le biopic est un navire qui prend l’eau. Ne voit-on pas passer, chaque année et à toute allure, quelque film sur James Brown ou autre, film dont personne ne parle. Ou alors, le temps de dire «c’est pas terrible, mais il chante les tubes et l’actrice est canon ?». Le genre a fait son temps, les Oscar ont été distribués, les disques vendus. Plus personne n’en veut. Il en va autrement de ceux qui ne traitent pas exclusivement du show business. Ceux-là s’en tirent, jusqu’ici.
Dans le cas de Paradise Lost – film franco-belge déguisé en produit hollywoodien -, tout bon spectateur s’attend à un condensé de violence et de répliques cinglantes où l’on apprendra quelques bricoles. On nous promet (on nous vend) un film sur Pablo Escobar, grand baron de la drogue des années 80. Un sujet en or, du moins pour injecter de la testostérone, un peu de Blondie sous les néons et espérer ramasser un million de spectateurs. Ce qu’on obtient, c’est l’œuvre étrange d’un réalisateur frileux, pompée sans vergogne sur Le Dernier Roi d’Ecosse.
Le film raconte l’histoire de Nick Brady, jeune éphèbe canadien, joué par Josh Hutcherson, venu en Colombie pour faire du surf. Animé de ce désir farouche, notre ami tombe sous le charme de Maria, belle colombienne au cœur aussi pur que le sien. Tout va pour le mieux dans les vagues dans lesquelles on se roule au ralenti. Quand soudain arrive Pablo Escobar – incarnation du mal -, l’oncle de Maria. Il est violent, sans cœur, imprévisible. Il a une grosse maison remplie d’enfants et il chante des chansons à sa femme. Mais ne vous y fiez pas, c’est un monstre sanguinaire. Il commet des crimes atroces, nous dit-on, car on n’en voit rien à l’écran. On les découvre à travers les visages horrifiés de nos Roméo et Juliette écoutant un poste de radio sur la plage. Puis, ça va de mal en pis.
Fait intéressant, personne ne meurt à l’écran. On ne voit que les coups de feu, puis des cadavres aux positions étudiées. On se croirait dans les années 30. Andrea Di Stefano a l’air de considérer qu’au 21ème siècle, montrer un cadavre suffit à susciter l’effroi. Voilà comment on caractérise un homme responsable de la mort de milliers de Colombiens. Benicio Del Toro, c’est tout à son honneur, tente d’insuffler un peu de savoir-faire. Il livre une prestation très chic, maîtrisée, qui montre à quel point cet acteur peut tout jouer, mais ne sauve en aucun cas le film. Josh Hutcherson, malgré son sourire ravageur, est incapable d’incarner autre chose que la bonne humeur ou l’effroi soudain. La meilleure prestation est sans doute celle de Carlos Bardem, frère de l’autre Bardem, qui tient le rôle du bras droit de Pablo.
Ce qui forme le noyau central est donc l’histoire d’amour entre Ken, pardon, Nick et Maria Escobar. C’est l’aspect sur lequel le réalisateur s’étend le plus et il va sans dire que le film atteint ici les profondeurs que l’on pensait insondables de la niaiserie. Di Stefano nous présente sans sourciller une histoire d’amour entre deux êtres radieux, deux angelots qui ne souhaitent que se marier et vivre leur fusion exotique en donnant des cours de surfs. Jusqu’à l’arrivée du croque-mitaine qui réduit en poussière ces nobles desseins comme une maison de paille. Gros ours à l’air perpétuellement endormi, qui fait des choses atroces comme poser son flingue sur la table au milieu d’un repas, ou ordonner des meurtres, la mine lasse. Nick est plongé dans une spirale maléfique, enfin soi-disant, puisqu’il garde constamment cet air de caniche affamé. Toujours est-il que les tréfonds de l’horreur sont atteints, puisqu’on vous le dit, et la pauvre Maria passe les trois derniers quarts d’heure du film à verser des larmes sur l’épaule de son amoureux. Bien sûr, on n’apprend absolument rien sur Escobar ou sur la Colombie de cette époque. Ce qui intéresse Di Stefano n’est que le cheminement du héros qui découvre peu-à-peu les cercles de l’enfer – ou ce que l’apprenti cinéaste identifie comme tel -.
Il y a également une histoire de trésor enfoui qui amène la course poursuite durant laquelle Hutcherson tente de démontrer qu’il pourrait jouer dans Taken : il tient une arme dans chaque main.
Même dans ces scènes de haute-volée, la paresse et l’angélisme restent omniprésents. Les ressorts sont à tel point grossiers qu’on se prend à sourire. Cela rappelle les jours bénis de L’agence tous risques. Voitures qu’on dégonfle, intervention de la méchante armée colombienne jusqu’à un final de tragédie grecque qui sent le tournage désastreux à plein nez. À ce propos, le film est construit selon une logique de long flash-back. On débute avec la scène de fin, retour en arrière, puis conclusion en forme de boucle. Ce genre de structure laisse deviner un monteur catastrophé en train de sauver ce qui peut l’être.
Question douloureuse : pourquoi choisir un tel sujet si l’on veut réaliser une adaptation des trois petits cochons ?
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