Quinzième film de François Ozon – avec un rythme de sorties quasi annuel -, Une nouvelle amie surprend une nouvelle fois dans la façon dont le réalisateur fait tout-à-coup bifurquer une histoire banale – de deuil ici, comme dans Sous le sable – dans une direction totalement inattendue. Claire et Laura sont deux amies fusionnelles et inséparables. Quand la seconde meurt en laissant un mari veuf et un enfant en bas age, Claire promet de continuer à veiller sur eux… En se rendant à leur domicile, elle découvre soudain que David s’habille en femme pour se substituer à la mère de l’enfant. D’abord choquée, Claire va évoluer petit-à-petit face à la transformation de David qui prend de plus en plus de plaisir dans le travestissement. Une nouvelle amie est donc un film sur le choix – d’identité, sexuel – qui n’est cependant pas politique, il ne revendique pas le mariage pour tous et ne dit rien sur la trans identité. Ozon fait avant tout du cinéma, en s’inspirant du thriller – Hitchcock – ou du mélodrame – Sirk et Almodovar ne sont pas loin -. Mais dans cette absence de parti pris et son aspect très référentiel, Une nouvelle amie atteint une forme de distance qui le rend lisse et frileux. Pas beaucoup de trouble donc, mais un Romain Duris étonnant dans le rôle de Virginia, créature transgenre dont la performance est à classer aux côtés de Tootsie ou Mrs Doubtfire.
Versatile Mag : Qu’est-ce qui vous a intéressé dans la nouvelle de Ruth Rendell dont le film est l’adaptation ?
François Ozon : Il faut savoir que c’est un projet que je porte depuis plus de vingt ans, quand j’ai lu la nouvelle pour la première fois. Ce qui m’intéressait dans ce texte, c’est la question de l’homosexualité refoulée de Claire, qui se terminait chez Ruth Rendell par un meurtre. Quand elle couche avec Romain et qu’elle s’arrête en disant « Je ne peux pas, tu es un homme », elle aurait dû le tuer à ce moment-là, si on avait respecté l’auteure. Mais dans mon film, je voulais plutôt illustrer la confusion.
L’autre chose que j’ai changée, c’est l’histoire du deuil qui permet de rentrer dans l’histoire et de comprendre les personnages de Claire et de David. C’est une manière de faire revivre Laura, sa défunte épouse. C’est sur ce deuil que Virginia va naître et que chacun va découvrir sa propre identité. C’est un film sur la liberté, avec un aspect conte de fée qui obéit à une structure narrative universelle : deux personnages qui vivent un drame et qui vont parcourir un long cheminement vers un happy end, « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ».
Avez-vous voulu faire un film d’actualité sur le mariage pour tous ?
Non. J’ai écrit ce film au moment des manifestations contre le mariage gay et l’égalité des droits, qui étaient très violentes et se basaient sur la peur. Cependant, je ne voulais ni braquer les gens, ni dramatiser, mais essayer de faire comprendre que le désir est complexe, que le masculin et le féminin sont fluctuants et que tout cela peut être très joyeux, ludique et léger. Dans le film, la censure et le danger sont plus à l’intérieur des personnages, ils ne subissent pas de pression de la société. Ils se mentent à eux-mêmes, jusqu’à accepter qu’ils ont du désir l’un pour l’autre et assumer leur identité. Si j’avais fait le film dans les années 40 ou 50, le monde extérieur aurait été plus présent en effet, mais je voulais montrer qu’aujourd’hui, la société est prête à les accepter. C’est pour cela que je leur donne la possibilité d’avoir une fin hollywoodienne.
Le film semble être influencé par Douglas Sirk et Alfred Hitchcock, en êtes-vous conscient ?
C’est vrai que je suis cinéphile et que je ne peux pas en faire l’abstraction. Hitchcock est venu en travaillant sur le scénario. Claire, c’est un peu Scotty qui fait revivre Madeleine dans Vertigo. D’ailleurs le livre de Boileau-Narcejac dont le film s’inspire s’appelait D’entre les morts et c’est vrai qu’il y a un peu de ça dans Une nouvelle amie. Psychose, non, c’est plutôt Guillaume Gallienne, il se déguise en sa maman ! Quant à Douglas Sirk, c’est un cinéaste que j’aime depuis toujours, comme de manière générale le cinéma hollywoodien des années 40 et 50 fait par des Européens. Ce sont eux qui ont fait l’âge d’or d’Hollywood. C’est pour cette raison que j’ai tourné au Canada, pour retrouver le même genre de banlieue pavillonnaire que dans Tout ce que le ciel permet et ne pas m’enfermer dans une réalité franco-française.
Comment avez-vous envisagé la question du travestissement ?
Je voulais que le spectateur ressente le plaisir enfantin et joyeux de se déguiser. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai choisi Romain Duris, car il apportait cela au rôle. Il fallait assumer le côté maladroit à certains moments, car au début, les travestis se cherchent et sont dans des stéréotypes de la féminité un peu ridicules. Mais on ne devait jamais rire du personnage mais rire avec lui. C’est pour cela que le regard de Claire et la complicité qu’ils ont ensemble sont très importants. Celle-ci développe sa propre féminité au contact de Virginia qui a aussi son propre parcours entre le début – où elle a un look de mémère avec sa perruque blonde, trop maquillée – et la fin du film.
Parlez-nous de la musique du film.
Concernant Amanda Lear, je vous laisse deviner pourquoi… ! S’agissant de Katy Perry, je voulais que Claire et Virginia aient leur moment Pretty Woman, quand elles vont faire leur shopping ensemble. Et Une femme avec toi, le morceau de Nicole Croisille, je trouvais qu’il fonctionnait aussi bien pour Claire que pour Virginia. Il intervient pour la première fois dans la scène de la boîte de nuit qui est le cœur du film où, pour la première fois les deux personnages sont à l’aise, osent, sont acceptés et heureux sans méfiance. C’est fascinant la façon dont les chansons de variété – même un peu médiocres – dont les paroles peuvent paraître idiotes prennent toutes leur force dans un film. Tout le monde disait du mal de cette pauvre Céline Dion jusqu’à ce que Dolan l’utilise dans un de ses films et maintenant, c’est le comble du chic !
Propos recueillis le 23 octobre 2014
Une nouvelle amie, sortie en salles le 5 novembre 2014
Note: