Avec Premier contact, Denis Villeneuve signe un grand film de science-fiction et continue de tracer le sillon des grandes figures féminines qui embrassent son cinéma.
Louise Banks (Amy Adams) est experte en linguistique.
Personnage doux et fragile, elle surmonte comme elle le peut le deuil de sa fille Hannah, terrassée trop vite par un cancer fulgurant. Elle se réfugie dans l’enseignement des langues au sein d’une Université Américaine réputée.
Hannah est un palindrome. Un prénom qui peut se lire dans les deux sens et dont la signification reste intacte. C’est une figure de style qui traverse toutes les époques et tous les langages, de l’hindi à l’occitan, de l’arabe à l’esperanto.
Hannah, c’est une force symbolique qui projette Louise vers l’avenir tout en la nourrissant de moments de grâce d’une grande intensité qui fabriquent des souvenirs indélébiles.
Au fond, Hannah représente la puissante incarnation de l’enfance, l’équation merveilleuse d’un futur rêvé et d’un passé heureux.
Il y a quelque chose de très Malickien dans l’ouverture lumineuse du film qui présente Louise et Hannah fusionnelles, comme reliées par une force élégiaque empreinte de beauté et de mélancolie.
Louise traverse ce deuil comme un fantôme alors qu’un événement singulier va bouleverser le monde.
Douze vaisseaux spatiaux se mettent à stationner subitement aux quatre coins du globe.
Ces vaisseaux rappellent chacun le monolithe Kubrickien de 2001, L’odyssée de l’espace. De longues formes opaques qui flottent comme de gigantesques points d’interrogation à quelques mètres du sol.
Louise se retrouve rapidement recrutée par l’armée américaine pour établir un premier contact avec cette forme extra-terrestre. Elle fait équipe avec Ian Donnely (Jeremy Renner), scientifique de renom.
L’ambition du film devient alors de percer l’énigme métaphysique laissée par Kubrick en livrant une réflexion passionnante sur le temps, le langage et le déterminisme de la vie.
Le palindrome devient la structure même du film ce qui en fait d’emblée un objet de cinéma fascinant à l’image du récent Under the skin de Jonathan Glazer.
Il peut se lire de nombreuses façons et le montage du film retenu par Denis Villeneuve n’est qu’une proposition de lecture parmi tant d’autres.
La force du film est d’aborder son sujet par le prisme d’une aventure immobile, d’un faux film d’invasion. Denis Villeneuve filme au ralenti, prend son temps, sans rompre aux effets de vitesse et d’accélération qui gangrènent souvent l’espace cinématographique et médiatique actuel.
La question posée est comment faire face à une non-menace.
Cette question est hautement contemporaine.
Alors que le rejet de l’autre, de l’inconnu devient le réflexe de nos sociétés modernes, Denis Villeneuve fait un pari tout autre. Il décrit minutieusement l’approche et la découverte d’une nouvelle forme de civilisation en mettant la langue et la communication au centre de son dispositif.
Il livre d’une certaine manière un manifeste contre le repli sur soi, une apologie de l’étranger, de l’inconnu, d’une autre manière de penser.
Il y a sans doute une filiation très forte entre Premier contact et Rencontre du troisième type de Spielberg même si le cinéaste aborde un style plus réaliste, plus ordinaire à l’image de Jeff Nichols dans Midnight Special.
Les scènes où Louise et Ian pénètrent à fréquence régulière l’un des douze vaisseaux et se confrontent à ces pieuvres extra-terrestres qui rappellent les sculptures de Louise Bourgeois sont des moments de cinéma d’une grande puissance émotionnelle et plastique.
Ces créatures projettent des jets d’encre dans un brouillard épais le long d’une vitre comme des éléments de langage que Louise et Ian vont devoir décrypter pour comprendre leur présence.
La résolution n’en sera que plus vertigineuse.
Par ailleurs, Denis Villeneuve nous démontre encore qu’il est un grand metteur en scène féministe.
Il est devenu assez rare dans le cinéma de studio de se confronter à des personnages féminins d’une aussi grande densité, couvrant des registres allant de la force à la fragilité et occupant une place aussi prépondérante à l’image.
Emily Blunt nous avait littéralement impressionné dans Sicario. Amy Adams est exceptionnelle. Elle est capable d’exprimer tellement avec si peu.
Elle est au cœur du film et se présente comme le vecteur émotionnel de son histoire.
Denis Villeneuve n’est jamais aussi inspiré que lorsqu’il met à l’épicentre de ses films des figures féminines aussi intenses. Ce fut le cas dans six de ses huit films, Incendies, Sicario et Premier Contact étant sans doute les plus puissants.
Premier contact est une réussite éblouissante et renforce résolument notre excitation à découvrir en octobre 2017 ce que Denis Villeneuve aura réussi à faire avec Blade Runner 2049, qu’il tourne en ce moment.
Note:
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