Avec La lune de Jupiter, Kornel Mundruczo se perd dans un essai formaliste gênant au regard de son sujet : le sort des migrants opprimés et laissés pour compte au carrefour noir de l’Europe.
C’est avec une vive impatience que nous attendions le 7ème long métrage du Hongrois Kornel Mundruczo qui, en 2014, avait pris un virage inattendu avec le formidable White God, primé à Cannes en sélection Un certain regard.
Ce virage lorgnait vers le film de genre et la SF de Pierre Boulle en mettant en scène la révolte de chiens promis à l’épuration ethnique comme une mise en abyme des politiques répressives des courants extrémistes hongrois incarnés par son premier ministre Viktor Orban. Une vraie réussite.
Ici Kornel Mundruczo passe à la vitesse supérieure en termes de production et d’ambition au carrefour – toujours – du film social et du film de genre.
Il s’intéresse cette fois à l’oppression des migrants et leur profonde précarité aux frontières de la Hongrie, pays devenu bastion des extrêmes et métastase officielle de l’Europe.
Les quinze premières minutes du film sont d’une puissance indiscutable et d’une virtuosité dans la mise en scène toute simplement vertigineuse.
On suit Aryan, jeune migrant syrien, tentant de traverser en groupe et illégalement la frontière de la Hongrie en passant par la Serbie. Par un plan séquence exceptionnel, avec une caméra portée au plus près des visages et des ombres des protagonistes, le cinéaste plonge le spectateur dans un état d’angoisse et de questionnement très perturbant et quasi-permanent pendant toute la durée de cette longue introduction.
Lorsque la police rentre dans le champ de la caméra, c’est pour une chasse effrénée rappelant celle du comte Zaroff dans une forêt opaque et dense traversée de courants d’eau. On se laisse bousculer par ces hommes, ces femmes et ces enfants livrés à eux même, dont la seule volonté de survie leur donne l’énergie du désespoir pour s’en sortir.
La plupart ne s’en sortira pas.
Aryan tombe sous les tirs à bout portant d’un policier rendu au rôle de bourreau. Le jeune migrant perclus de balles et laissé pour mort retrouve la vie et rentre en lévitation. Il entame alors un voyage personnel et identitaire accompagné d’un médecin corrompu rencontré dans un camp de transit qui voit dans ce don l’opportunité de gagner beaucoup d’argent. Jusqu’à la rédemption.
On se dit que Le fils de Saul de Laszlo Nemes, autre réalisateur hongrois célèbre et célébré, a fait passer un cran aux ambitions et à la mise en scène de la nouvelle vague de cinéastes hongrois en abrogeant le symbolisme sursignifiant des œuvres de ce coin de l’Europe pour laisser place à un cinéma plus pur et minéral reposant se construisant par l’image.
Et bien non car passé ce premier quart d’heure, le film se perd, se boursoufle, retrouve les scories d’un symbolisme lourd et forcené.
Le film se livre alors comme un objet ambivalent et l’intégrité de son sujet se noie dans la volonté farouche du cinéaste à mettre en scène sa virtuosité et rien que sa virtuosité. Jusqu’à même apparaître lui-même à l’écran dans un climax extrêmement gênant.
Le réalisateur cherche à tous prix à sur-amplifier les motifs traditionnels du cinéma de genre en cherchant les angles et les mouvements de caméra les plus impossibles.
Tout y passe. La course poursuite en voiture cherchant à reléguer Bullit aux oubliettes, les scènes de lévitation du héros comme une invitation bigger than life du cinéma hongrois dans le film Marvel, la scène d’attentat à la bombe pour crier haut et fort que Bigelow a trouvé son alter ego dans l’est de l’Europe.
Bref un florilège de scènes tapageuses flanquées de plans séquences qui deviennent convenus à force de s’enchaîner. Et le brio entrevu au début film devient une démonstration qui sonne bien creuse au regard de son sujet.
Et oui, le sujet dans tout cela ? Oublié en cours de route, relégué en artifice. Ni plus ni moins. Et pourtant, il ne s’agit pas ici de décortiquer les névroses d’Iron Man ou des X-men. Mais bel et bien de se faire l’écho aux yeux du monde de l’atrocité qui se vit à quelques milliers de kilomètres du cœur de la vieille Europe et qui met en péril nos systèmes de valeur et de solidarité.
Mundruczo oublie son sujet et abandonne toute notion de regard.
L’ego trip du cinéaste en devient inacceptable. On cherche alors à comprendre comment le réalisateur de White God, fable puissante, a pu autant se tromper sur l’autel d’un cinéma hypertrophié et caricatural. On pense alors à sa propre mise en abyme. Chercherait-il lui-même cette rédemption au travers de la figure devenue christique et sacrificielle de son personnage. Est-ce la seule manière d’endosser l’Europe ?
Au fond, nous nous en moquons, tant la digestion est lourde, comme la symbolique rance qui détruit le film tout au long de son cheminement.
La lune de Jupiter s’avère être l’une des plus grosses déceptions de l’année et plus prosaïquement un film détestable.
Note: