Pour peu que l’on ait écouté leurs deux derniers albums, The Horrors à La Dynamo, ça semble à peu près aussi incongru que Barack Obama en visite officielle à Saint-Girons. Mais les voies du succès populaire (et des promoteurs) sont impénétrables, et c’est donc avec une certaine excitation que l’on s’apprête à retrouver Faris Badwan (ex-Rotter) et son gang de poupées rock-goth dans cette petite salle tout près du Canal du Midi.
La Dynamo, donc. L’endroit est minuscule, mais noir de monde pour l’occasion. La scène est à peine surélevée et la fosse (occupée dès la 1ère partie) semble aussi prête à la submerger que la marée sur la côte. Heureusement, une vierge Marie (oh, que c’est subversif) veille sur la scène, également surplombée par un balcon où ont pris place des mélomanes souvent un peu plus âgés. Le public ? Plutôt jeune, même si on croise de nombreux trentenaires ou jeunes quarantenaires que l’on imaginerait bien en héros de Nick Hornby : calvitie menaçante, léger embonpoint, chaussures plus fonctionnelles qu’esthétiques, mais veste décontractée et T-shirt «indie» sur les épaules. A ce propos, pourquoi les T-shirts de Joy Division sont-ils à ce point surreprésentés ? On ne peut pas être cool avec un T-Shirt New Order ?
Le concert va commencer, on s’attend donc à voir débarquer le boys band punk aperçu dans les clips : Coupes improbables et aussi référencées que leur musique (le bassiste portait celle de Dee Dee Ramone), jeans tenant plus du collant, bottines de cuir. Rien de tout ça, mais alors rien du tout. A part Faris (Badwan, ex-Rotter, le frontman) qui reste fidèle au look qui l’a rendu «célèbre», les autres semblent avoir mué en même temps que leur musique : le guitariste semble sortir tout droit de Bon Jovi avec ses cheveux très longs, le bassiste a le crin clair, une marinière presque large et une allure générale très féminine, le batteur est presque invisible derrière ses fûts et joue avec un gavroche vissé sur le crâne et le clavier est un espèce de sosie du mythique McLovin’ (Superbad), habillé en pasteur. Un attelage hautement improbable donc, avant même les premières notes.
Le grand corbeau au centre de la scène, le «Faris» que réclamaient quelques groupies (masculines) attire tout de suite la lumière. Ses affreux sidekicks ont beau noyer nos oreilles dans une mer de son, on ne voit que lui. Il harangue la foule, pose son timbre à la fois si distinctif et si proche de certains glorieux ainés (on pense à David Bowie). Après une ouverture maitrisée, les horreurs posent déjà leur meilleur single : le superbe Who Can Say, une rupture cruelle racontée et portée par un clavier fulgurant et une section rythmique furieuse. «And though it’s hard, for me to say, I know you’re better off this way» : Faris est sur le toit du monde pendant quelques minutes, du fin fond de la Dynamo à Toulouse. Ça tombe bien, c’est ce que l’on vient chercher.
Le reste du set s’enchaine sans transition ou presque, même si Faris qualifie ce public toulousain pourtant balbutiant de «best audience ever». Humour anglais, sans doute. C’est un mur du son qui est monté sur scène et cette puissance sonore contraste avec l’apparence ambiguë de nos maçons surdoués. Leur chef se met à l’aise, quitte son perfecto et cherche un peu le public. S’il repousse peut être un quelconque fan un peu trop tactile, on est loin du Rotter des débuts, réputé se battre un concert sur deux. Il se contente de grimper sur une enceinte et d’énergiser ses fidèles du haut de son perchoir, comme une gargouille à la voix plus profonde que rocailleuse. Un moment fort : Endless Blue, qu’il prend le temps d’annoncer et qui plane longtemps avant de mettre la salle sens dessus-dessous. La mère de Dieu ferme les yeux.
Mais un beau feu d’artifice a besoin d’un bouquet final. Et ces artilleurs-là savent y faire. La batterie et la basse démarrent, les aficionados reconnaissent rapidement les premières notes de Sea within a Sea, peut être le morceau le plus puissant composé par The Horrors à ce jour. Ils le savent, et font gentiment monter la sauce : la basse savoure, la guitare gratte ses premiers accords et la voix attend son tour d’un air aussi affecté que nonchalant. Ça y est, elle chante : So say, we walk alone… La guitare reprend vite le pouvoir, la passe d’armes n’en finit pas Far beyond the reaches behind the shadows, avant que le clavier ne se joigne à ces six cordes pour emporter la chanson loin, très loin de cette petite salle du Sud-Ouest. Mais tout le monde se calme, et la section rythmique imprime un rythme de métronome pour freiner les ardeurs. McLovin’ prend les choses en main, et assure la montée. Le grand corbeau le prend par la main, et les cinq compagnons s’en donnent bientôt à cœur joie, assurant une ascension qui n’aura pas besoin d’orgasme. Parce que les grandes chansons ne finissent jamais.
Ne pas terminer un concert sur cette chanson, quelle horreur… Mais l’impertinence est à ce prix et Faris annonce même la suite : Still Life, premier single du dernier album en date (Skying). Une chanson atmosphérique où guitare et basse s’enlacent sous les yeux d’un chanteur tout à coup bien désabusé. Heureusement que le clavier nous rappelle que nous sommes en 1982, que le Sida ne fait pas encore peur, et que le sexe est aussi libre que l’amour (si, si, écoutez bien). Le refrain, presque facile, est l’occasion pour le public de partager avec son aventure d’un soir. Mais la chanson, comme une dernière cigarette, se consume jusqu’au filtre et le gang quitte la scène pour préparer un rappel attendu.
Les conventions exigent un rappel, mais si le set a été plutôt court, The Horrors ont bien récité l’essentiel de leur répertoire, sans garder un gros single sous leurs pattes. L’occasion de vider l’armoire poussiéreuse de ce premier album ? Même pas en rêve : ils ont changé, et leur rappel n’en a pas franchement besoin. Ils repartent de plus belle, avant de lâcher une dernière nuée de souffre : Moving Further Away. Pour préparer la salle à la déflagration, le guitariste frotte son engin au mur de l’enceinte, comme pour la prévenir qu’elle sera bientôt trop petite pour son petit orchestre électrique.
A la fin du concert, il est encore temps pour une petite bière. Cinq petits euros, accoudés au comptoir, à attendre pourquoi pas que ceux qui ont été des Dieux une heure durant viennent laisser poindre une part d’humanité. Après quelques minutes, Faris arrive, seul, remorquant déjà deux groupies (pas forcément jolies mais très apprêtées) et le chanteur de la première partie, un grand noir qui fait de son mieux pour paraître aussi détaché que sa cible du soir. La grande gigue boit quelques shots en dégustant une mandarine (?!) et puisqu’il n’a pas l’air plus loquace, on termine notre «Blonde d’Occitanie» pour prendre le chemin du retour. Pourvu que la sainte vierge n’ait rien vu.
Note: