Versatile Mag : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours et ce qui vous a menée à la réalisation? Et comment s’est passée la rencontre avec Humbert Balsan ?
Sandrine Veysset : J’ai rencontré pour la première fois le monde du cinéma en travaillant aux décors du film de Leos Carax Les Amants du Pont Neuf qui se tournait près de Montpellier où j’étais étudiante en Lettres modernes et Arts plastiques. A l’époque je ne savais même pas qui était Leos Carax. Le cinéma était loin de moi. J’étais d’avantage attirée par la peinture. Le film se prolongeant à Paris je suis devenue chauffeure de Carax et j’ai ainsi pu suivre les différentes étapes d’un film. C’est Leos qui m’a encouragée à écrire. J’ai donc commencé l’écriture de Y’aura-t-il de la Neige à Noël ?, tranquillement, tout en continuant à travailler aux décors sur d’autres films.
C’est à cette occasion que j’ai rencontré Humbert Balsan. Je travaillais sur un film qu’il produisait et mon scénario venait d’obtenir l’avance sur recettes. Il est venu me voir et m’a proposé de me produire. J’ai refusé bêtement, arguant que je reviendrai le voir si au final il ne me restait que l’avance sur recettes. Deux ans plus tard, c’est ce qui s’est produit. Je n’avais pas réussi à trouver la liberté de faire le film comme je l’entendais. Humbert Balsan a été le seul à accepter mes conditions, tourner sur trois saisons, avec sept enfants et des acteurs pas « bancables », sans faire de court métrage préalable. J’avais enfin trouvé Mon Producteur, qui allait m’accompagner sur tous mes films jusqu’à sa disparition, en 2005.
D’où vous est venue l’inspiration pour Y aura-t-il de la neige à Noël ? Avez-vous vous-même connu le monde rural dépeint à l’écran ?
L’inspiration de ce film vient de mon enfance passée à la campagne, du travail de la terre, de mon amour des saisons marquées et de mon goût pour les Contes.
Dès le départ il y a eu cette volonté de saupoudrer le récit réaliste de discrets éléments du conte : Le chiffre sept, la figure de l’Ogre, etc.
Le casting est remarquable et l’alchimie fonctionne très bien entre les enfants et Dominique Raymond. Comment s’est opéré le choix des acteurs? Ensuite, avez-vous beaucoup répété ?
C’est l’assistant réalisateur Kétal Guenin qui a fait le casting des enfants. Un casting sauvage pour lequel il a battu la campagne dans tout le Sud de la France. Le casting a été très long. Les enfants viennent de régions différentes. Pour les rôles de la mère et du père, c’est un ami conseiller, Elie Poicard, qui m’a parlé de Dominique Reymond, grande actrice de théâtre. Elle était presque aux antipodes de mon désir (une Anna Magnani) et pourtant elle a eu le rôle. Daniel Duval est venu ensuite et je trouvais qu’il formait un beau couple avec Dominique, une alchimie convaincante.
Les enfants sont venus vivre avec nous quelques semaines avant le tournage. Ils passaient les journées à la ferme, avec nous, pendant la préparation. Je leur ai montré les différents jeux, les petites maisons de terre, les tunnels dans la paille, etc. Ma consigne était simple. Ils devaient s’appeler entre eux par les prénoms de leurs personnages et se familiariser avec les différentes tâches qu’ils effectueraient par la suite, en tournage. Naturellement, ils se sont pris au jeu, appelant Dominique « maman », par jeu, Daniel « papa ». Ils étaient devenus comme « frères et soeurs ».
Au moment du tournage, la vie à la ferme et en fratrie faisait partie de leur quotidien. Au final, il y fait plus de vie que de Cinéma.
Pouvez-vous nous parler de la lumière et des choix de photographie ? Par ailleurs, un choix de mise en scène m’a frappée, c’est la fermeture à l’iris sur Dominique Raymond après une séquence particulièrement dramatique.Qu’est-ce qui vous a poussée à faire ce plan ?
Pour les couleurs, j’avais l’idée précise de partir de quelque chose de très lumineux, de coloré, à quelque chose de plus sombre, de plus éteint. À partir de mon désir, Hélène Louvart, la chef opératrice a usé de tout son talent pour filmer le plus possible en lumière naturelle ou bien pour recréer une source de lumière réaliste. Par exemple, la scène du réveillon est entièrement éclairée à la bougie. C’était un vrai choix de notre part. Pour traduire mon envie de couleurs qui se délaveraient avec les saisons, Hélène m’a proposé un « sans blanchiment » du négatif pour la partie hivernale.
Elle a fait un travail remarquable sur l’image. La mise en scène a également servi le propos narratif. On a suivi cette logique avec Hélène : On est partis d’un filmage très mobile en été à un filmage qui se fait de plus en plus discret au fur et à mesure. L’idée était d’aller du large, de l’espace ouvert de l’été, au resserrement progressif pour finir sur l’enfermement du personnage de la mère, dans le dernier gros plan du film.
La fermeture à l’iris qui marque la fin de l’automne, était une volonté de ma part, une manière de signifier visuellement qu’à partir de ce moment rien ne serait plus pareil !
Il n’y a que deux musiques dans le film, celle du prologue dans la paille et puis la chanson d’Adamo à la toute fin. Pouvez-vous nous parler de ces choix musicaux ?
Dès le départ je n’avais pas envie de musique. Pour moi, il y avait cette idée que les images devaient se suffirent à elles-même, qu’elles devaient être signifiantes même sans paroles. Je ne voulais pas que la musique vienne lisser la narration, la rendre moins âpre. Elle ne m’a jamais semblé être nécessaire sur ce film. La musique sur le générique dans la paille apporte une information précise : c’est le thème de la comptine « Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n’y est pas ». La chanson Tombe la Neige est à la fois redondante par rapport à l’image de la neige qui tombe effectivement, mais elle rappelle aussi que la mère est aussi une femme, et que son homme n’est pas là. Elle évoque à la fois une délivrance, un espoir, mais aussi une profonde mélancolie.
Aujourd’hui, quel regard rétrospectif portez-vous sur le film, quels sont vos projets ?
J’ai un regard tout à fait bienveillant sur ce film, parce que malgré ses vingt ans, il ne me semble pas avoir vieilli. Il se tient droit dans ses bottes, comme on dit et j’aime bien ça. Le travail de Carlotta, la ressortie en 4K, est un véritable cadeau, une renaissance pour le film.
Je viens de finir un film intitulé L’Histoire d’une mère avec Lou Lesage, Catherine Ferran et un enfant de quatre ans. Il a été fait dans une économie de moyens proche de celle de mon premier film. Il est tiré d’un conte d’Andersen. Pour le coup, c’est un film qui fait écho à Y’aura-t-il de la Neige à Noël ?, c’est peut-être celui qui en est le plus proche. Il sortira en septembre 2016. Je suis sur un autre projet qui se tournera courant 2016, une comédie qui vire au drame…
Enfin, êtes-vous cinéphile, qu’avez-vous aimé au cinéma récemment ?
Dire que je suis cinéphile serait un bien grand mot. Je vois des films, j’essaye d’en voir. Dernièrement j’ai aimé le film de Vincent Dieutre, Orlando Ferito. Malheureusement, il n’a pas la visibilité qu’il mérite. C’est presque un gage de qualité, non ? Plus les films sont visibles et plus ils sont médiocres, à quelques exceptions.
Y’aura-t-il de la neige à Noël, de Sandrine Veysset – Disponible en dvd et blu-ray (Carlotta)
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