Pour terminer sur une soirée marquante, les organisateurs du Pitchfork Music Festival avaient fait les choses en grand. En cette nuit d’Halloween, de nombreuses stars ou espoirs talentueux et en pleine ascension allaient se succéder. Surtout, le choix de Laurent Garnier, légendaire DJ aux plus de vingt-cinq ans de carrière, comme point final à ces trois jours de festivité fut formidablement logique. Le Pitchfork Music Festival se transformerait au fur et à mesure en souvenir vivant des grandes raves party électroniques des années 1990.
Avant cette folle nuit, le Jour 3 démarrait doucement en laissant s’exprimer de jeunes talents qui avaient tout à prouver. Hinds, Curtis Harding et Nao, tous aussi différents qu’ils montrèrent de très jolies choses. Le premier est un girls band espagnol originaire de Madrid représentant une sorte de Rock très californien, cool, délirant et solaire. Le show fut à l’image de leur musique, une vraie bouffée d’air. Le deuxième est un prodigieux soul man aux allures de Marvin Gaye et aux orientations rock et rétro pleines d’énergie. Le concert permit de découvrir un artiste au charisme certain à surveiller. Enfin, la dernière est une très jeune chanteuse de R’n’B alternatif londonienne qui emboîte le pas de son aînée FKA Twigs, le feeling soul en plus, la bizarrerie en moins. Auteur de deux très bons Ep sortis l’année dernière et en mai dernier, Nao a montré sur scène sa grande prestance scénique et toute la force que décèle sa musique. On attend l’album avec impatience.
Après ce départ très plaisant, ce fut l’heure de deux groupes aux accents très Pitchforkiens, Father John Misty et Unknown Mortal Orchestra. Deux représentants d’une Indie Pop/Rock auteurs de deux albums acclamés en 2015 et dont la prestation fut très attendue. Si Father John Misty imprégna de sa classe et de son néo-romantisme toute la salle à coup de tubes – Bored In USA, I Love You Honeybear – et des arrangements très propres et harmonieux, les Néo-zélandais offrirent le set le moins passionnant de la soirée, avec une musique tournant parfois à l’inaudible, la faute à l’exigence de certaines compositions et rythmes davantage consistants en studio.
Le Hip Hop était de nouveau à la fête en ce soir du 31 octobre. D’abord par la sensation du moment, les très acclamés Run The Jewels et leur Rap conscient, protestataire, puissant et virulent. Leur musique est comme une bataille de rue, avec des sonorités souvent minimalistes, mais toujours sophistiquées qui se marient parfaitement avec le flow des deux Mc, Killer Mike et El-P. L’un fait valoir son phrasé percutant et vif tandis que l’autre joue de la bizarrerie de sa voix rauque et de sa roublardise. Tous ces ingrédients qui se sont retrouvés dans le show le plus bourrin du festival, entraînant de nombreux mouvements d’une foule en délire, entre pogos et slams, rappelant la malheureuse absence de groupes Metal en cette année 2015. Jouant le répertoire assez limité de leurs deux seuls – excellents – albums on pourra dire qu’ils ont su rallier le public à leur cause, ce dernier connaissant presque chaque mot de chaque titre. Le sommet de ce concert restera ce Close Your Eyes (And Count To Fuck) ravageur. Le tube de RTJ, définitivement. Ensuite, c’est un jeune producteur et Dj, Hudson Mohawke, notamment connu pour sa participation au controversé mais demi-génial Yeezus de Kanye West et surtout son projet avec Lunice, TNGHT, pionnier de l’intérêt populaire pour la musique Trap qui se chargea de livrer la seconde salve Hip Hop de la soirée. Ici, point de Mc, mais un magicien du mix balançant des beats infaillibles capables de faire se soulever toute la salle. Une heure de set où le monsieur joua ses meilleurs titres, notamment les monstrueux Higher Ground et Goooo.
Imbriqués entre ces deux entités de la musique Hip Hop, deux groupes à la personnalité sensiblement contraire, mais réunis par l’amour de la guitare. En premier lieu, Spiritualized, projet personnel de l’incroyable et increvable Jason Pierce (fondateur du Space Rock saturé avec son mythique duo Spacemen 3) venu avec sa troupe jouer ses plus grands titres issus de ses nombreux chefs-d’œuvre, Ladies and Gentlemen We Are Floating In Space en tête. Un show intense et sensuel, où la poésie des saturations électriques rencontrait le groove de la basse et du chant de Pierce. Le vrai grand groupe de Rock British des 1990’s, ce n’est pas Oasis, mais bel et bien eux ! De l’autre côté, c’est Ratatat et son électro branchée et tournant autour de la virtuosité des deux membres à la guitare. La musique du groupe a rarement été passionnante et s’est souvent contentée du minimum : faire bouger la tête de son auditeur en lui empreignant une mélodie identique d’un titre à l’autre mais forcément entêtante. Assumant leur mauvais goût à fond et leur côté rétro kitsch, les deux New-yorkais ont pourtant offert un concert réjouissant, un pur moment halluciné de sons et lumières semblable à un spectacle d’illusionniste et aidé par des spectateurs visiblement transis.
Enfin, dans sa dernière ligne droite, le Pitchfork Music Festival se métamorphosa en rave moderne, la Grande Halle de la Villette réunissant alors tout un tas de personnes aux antipodes les uns des autres : jeunes précoces de la musique électronique biberonnés à… Ratatat !, fans de musiques Indie, amateurs de sonorités « black », doyens des clubs du monde entier ayant grandi en même temps que la French Touch au début des années 1990. Laurent Garnier représentait justement tout ça à l’heure où il monta prendre place derrière ses murs de sons et ses platines magnifiques. Une transition en douceur effectuée après le très bon et très berlinois set de la star montante John Talbot en b2b avec l’immense Germanique Roman Flügel. Le Français livra une prestation solide et transcendante où se mêlèrent toutes ses personnalités et tendances, sans heurts, comme imprégnées d’une magie dont lui seul a le secret. House, Garage, Club, Minimal, Techno, Pop, etc. Tous ses styles furent brassés pendant plus de deux heures trente d’un show démentiel jusqu’au bout de la nuit (5h30) et des premiers métros parisiens. On aurait voulu que ça dure encore trois jours. A l’année prochaine.
Note: