Au programme, trois films de la sélection officielle, Mon Roi de Maïwenn, Carol de l’américain Todd Haynes, tous deux en compétition officielle et Kishibe No Tabi (Vers l’autre rive) du japonais Kiyoshi Kurosawa dans la section Un Certain Regard.
La compétition officielle a sans doute livré aujourd’hui son plus mauvais film, Mon Roi de Maïwenn. On s’interroge même sur les raisons de sa sélection tant le résultat est un ratage absolu. Le scénario tient sur une feuille de papier à cigarette. Tony (Emmanuelle Bercot), victime d’un accident de ski, se souvient lors de sa longue convalescence au Cap Breton de l’amour tumultueux qu’elle a vécu avec Giorgio (Vincent Cassel). Par cette catharsis, elle va tenter de se reconstruire. Ce qui frappe dans le film de Maïwenn, c’est le manque total d’engagement, de maitrise, de direction, de regard sur ce qu’elle filme. De la mise en scène, il n’y en a pas. La réalisatrice pose sa caméra et laisse la scène se dérouler sans aucune idée de plan ou de travail sur le champ. Elle réalise son film comme une vidéo de vacances à la va-vite et au tout venant. Dans son précédent film, Polisse, sa capacité à diriger les acteurs et à les mettre dans des situations de déséquilibre pour qu’ils lâchent prise, semblait être sa marque de fabrique, son label choral. Ici rien de tel. Les acteurs sont livrés à eux même et ne construisent à aucun moment des personnages denses, sincères, capables de souffle émotionnel. Tout semble factice, car sans direction, les acteurs n’incarnent qu’eux-mêmes. Vincent Cassel, dandy cynique passé maitre en la petite phrase lâchée en toutes circonstances s’oppose à Emmanuelle Bercot tout en hystérie extravagante. Certaines scènes sont même gênantes. De cette gêne qui frappe ceux qui assistent impuissants aux lynchages familiaux sans faire partie de la tribu. On pourrait même parler d’un syndrome Petits Mouchoirs. Le film atteint des sommets d’artifice lors d’une scène de déjeuner où Emmanuelle Bercot pète littéralement les plombs. Le film ne travaille pas non plus la distance. Il est bas du front, très premier degré avec un humour qui ne fait rire que lui. « Tu veux que je te passe mon téléphone » lance Giorgio à Tony. « Bien sûr lui répond-elle ». Et Giorgio, l’air satisfait, le lui lance littéralement au visage. Belles idées d’écriture … Et le film se gâte encore un peu plus lorsqu’il enfile les clichés. Tony la jeune néo bourgeoise qui trouve la rédemption entourée d’une bande de jeunes adolescents encanaillés qui cochent tous les critères médiatico-caricaturaux. Il en va de même avec Giorgio, en roue libre, qui séduit les mannequins anorexiques et dépressives à grand coup de vodka pomme dans les clubs si branchés de la capitale. On oublie vite cet accident industriel et on passe à autre chose.
Cette autre chose, c’est Carol de Todd Haynes avec Cate Blanchett et Rooney Mara. Autant le dire immédiatement, c’est un chef d’œuvre. Nous tenions déjà haut dans notre estime le trop rare réalisateur des magnifiques Safe et Loin du Paradis. Il livre ici un manifeste de cinéma soutenu par des actrices en état de grâce. A la manière d’un Wes Anderson ou d’un Wong Kar Wai, Todd Haynes ne laisse aucune place au hasard. Le contraste est saisissant par rapport au film de Maïwenn. Le cinéma de Todd Haynes est un cinéma de la perfection. La reconstitution des années 50, époque à laquelle évolue l’histoire, éblouit par la précision de la lumière, des décors et des tenues vestimentaires. Nous sommes immédiatement plongés dans un New York bourgeois présenté comme une cage pétrie de puritanisme et de convenances. C’est dans cet univers asphyxiant que vont évoluer Carol (Cate Blanchett) et Thérèse (Rooney Mara). Les deux femmes incarnent des générations et des positions sociales très différentes. Carol, femme de la haute société bourgeoise, s’oppose à Thérèse, jeune girl next door, en quête d’accomplissement social. Ces deux femmes vont s’aimer d’un amour fusionnel et passionné, encerclées par une société américaine qui punit la différence. Si Loin du Paradis abordait les mêmes thèmes et prenait l’allure d’un mélo. Carol est une pure tragédie à la manière de l’âge d’or du cinéma américain qu’incarnait George Cukor. La mise en scène de Todd Haynes est somptueuse. C’est un festin de créativité et d’idées de cinéma. Tout a un sens. Des surfaces vitrées embuées qui soulignent l’émotion à fleur de visages des deux actrices toujours cadrées avec la bonne distance jusqu’aux compositions graphiques qui rappellent dans les moindres détails les œuvres d’Edward Hopper. L’ouverture du film et sa fermeture se répondent magnifiquement dans la réplication de la scène qui aura simplement évolué par l’application du contre champs. Cette simple application du contre champs où le visage de l’une devient le visage de l’autre résume les enjeux passionnés des deux protagonistes. C’est remarquable d’élégance, d’efficacité et de puissance émotionnelle. Même s’il reste une semaine de festival, le film s’avère être un candidat sérieux pour la Palme d’Or et ses deux actrices tout autant pour le prix d’interprétation.
Côté section Un Certain Regard, le maître japonais Kiyoshi Kurosawa était attendu. L’auteur de Kairo, Tokyo Sonata et Shokuzai, déçoit pourtant avec son nouveau film Vers l’autre rive. Pourtant l’idée de départ du film avait de quoi séduire. Au cœur du Japon, Yusuke (Asano Tadanobu), mort accidentellement par noyade quelques années plus tôt, revient parmi les vivants pour emmener Mizuki (Fukatsu Eri), son ex femme, à la rencontre du royaume des morts. La jeune femme, au contact des disparus, va réapprendre à vivre et donner un sens à ce qu’elle est. On pouvait s’attendre à un conte poétique questionnant le rapport à la mort, à la vie et aux éléments, à la manière du génial Apichatpong Weerasethakul. Malheureusement, Vers l’autre rive restera figé sur un cinéma bavard, explicatif et dénué d’ampleur et de poésie. Le film est interminable et vraiment indigeste avec ses 2 h 07 de dialogues insipides en continu.
Mon Roi
Note:
Carol
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Vers l’autre rive
Note: